dimanche 26 avril 2015

Le rapport mondial sur le bonheur 2015 - Enseignements des neurosciences

Le rapport mondial sur le bonheur 2015 a été publié le 23 avril 2015. Il a été relayé sur les médias internet, mais de manière assez anecdotique, en se limitant à un palmarès, avec la Suisse sur la plus haute marche du bonheur mondial et avec une 29ème place pour la France.

De mon point de vue, ce serait dommage de ne pas évoquer d’autres éléments de ce rapport comportant 172 pages.

Je me suis intéressé à deux chapitres : le chapitre 5 sur les neurosciences et le chapitre 6 sur la transformation de la santé mentale des enfants et adolescents.

Mais commençons par quelques mots sur ce classement


Sur quels critères est-il établi ?

Au-delà du critère économique (PIB par habitant) qui ne fait pas le bonheur à lui-seul, et loin s’en faut (des études montrant qu’au-delà d’un certain seuil de revenu, l’argent ne crée plus de bonheur), les autres critères retenus sont :
  • Le support social (pouvoir compter sur quelqu’un en cas de problème)
  • L’espérance de vie en bonne santé
  • La liberté de faire ses choix de vie
  •  La générosité
  • La perception de corruption (au niveau gouvernemental et dans le monde des affaires)

La note moyenne pour la France sur une échelle de 1 à 10 est de 6,575, 1 point en-dessous de la Suisse (7,587/10), numéro 1 de ce palmarès. 

Ce classement a été élaboré sur la période 2012-2014. Par rapport à la période 2005-2007, le niveau moyen de bonheur en France est en baisse de 0,238.

Je note que le niveau de bonheur en France est légèrement supérieur au niveau de Qualité de Vie au Travail ressorti du sondage TNS-Sofrescommandé par l’Anact à l’occasion de la semaine de la QVT en juin 2013 : 6,1/10.

Bonheur et neurosciences

Le chapitre 5 du rapport mondial sur le bonheur 2015 est consacré à des enseignements récents des neurosciences par rapport au bonheur et au bien-être psychologique.

Si pendant de nombreuses années, émotion et raison ont été considérées comme associées à des parties cérébrales distinctes, les travaux par imagerie médicale sur le cerveau ont mis en évidence au cours des deux dernières décennies qu’il existe en réalité des interactions entre ces parties.

Face à nos expériences de vie, celles qui sont agréables et celles où l’on est exposé à l’adversité et au stress, le cerveau est amené à se transformer au niveau plastique (neuro-plasticité du cerveau), à la fois aux niveaux structure et fonctionnement. Ces changements impactent clairement notre bien-être.

La neuro-plasticité est également mise en jeu dans toutes les activités d’apprentissage et d’entraînement visant à cultiver notre bien-être.

Autrement dit, la neuro-plasticité fonctionne à l’insu de notre plein gré (pour reprendre une formulation cycliste célèbre) dans notre vie de tous les jours, et également à travers nos actes intentionnels de culture de notre bonheur.

Quatre éléments constitutifs majeurs du bien-être sont rapportés :
  • La durabilité des émotions positives ;
  • La résilience, la capacité à surmonter rapidement de l’adversité ;
  • Le développement de l’empathie, de la compassion et de l’altruisme ;
  • La pleine conscience et la capacité d’attention.


Durabilité des émotions positives

Les émotions positives mettent en jeu deux parties du cerveau : le cortex préfrontal ventral et le striatum ventral.



Le maintien dans la durée des émotions positives dépend de la bonne activité de ces régions et du bon niveau de connectivité entre ces deux parties. Il a été démontré sur des populations de personnes déprimées que l’utilisation d’un antidépresseur renforce l’activité du striatum permettant aux personnes de ressentir plus d’affects positifs.

Les impacts des émotions positives sont différents selon le type de contexte : recevoir une récompense n’est pas prédictif de plus de bien-être de manière durable. En revanche, apporter de l’aide à quelqu’un apporte non seulement une émotion positive mais impacte plus durablement le bien-être.

Cela renvoie aux deux niveaux de bien-être :
  •  Le bien-être dit hédonique, nourri par le plaisir, la réduction des émotions désagréables et la satisfaction de vie. Ce type de bien-être est impacté par le processus d’adaptation hédonique.
  • Le bien-être dit eudémonique (ou psychologique) conditionné par le sens de sa vie, la croissance personnelle, l’acceptation de soi, l’autonomie, la qualité des relations interpersonnelles et le contrôle de son environnement.


Résilience


Il s’agit de pouvoir maintenir un niveau élevé de bien-être face à l’adversité et de récupérer rapidement suite à un stimulus négatif.



L’amygdale est la partie centrale du cerveau dans ce processus de résilience. Mais la régulation des émotions négatives met en jeu la région préfrontale du cerveau.

L’apprentissage de stratégies de régulation des émotions, en particulier dans des situations de niveau modéré d’adversité, contribue à l’amélioration du bien-être.

Empathie, compassion et altruisme

L'un des meilleurs prédicteurs du bien-être d’un individu est la qualité de ses relations sociales, quel que soit l’âge, et ceci uniformément dans toutes les cultures.


Il est à noter qu’un cercle vertueux se met en place : un comportement pro-social augmente le bien-être, ce qui favorise le comportement social.

Le comportement pro-social nécessite un préalable : l’activation de l’empathie. Elle va permettre à un individu à la fois de reconnaître les émotions de l’autre et de les partager.
De là pourra naître (ou pas) le mouvement d’aider l’autre (corrélation entre l’empathie et l’altruisme).

Les parties du cerveau engagées dans l’empathie sont les mêmes que dans l’expérience de nos propres émotions.

L’intensité de l’empathie dépend du niveau de proximité avec la(es) personne(s) en face.

L’étude par l’imagerie médicale de l’altruisme a montré une activité dans les mêmes régions (aire tegmentale ventrale et dorsale et striatum ventral) que l’on reçoive de l’argent ou qu’on en donne.
L’activité s’est révélée plus forte dans l’acte de donner que dans celui de recevoir. Cela permettant de confirmer l’adage « Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir».

La compassion a aussi été étudiée. Elle est définie comme un sentiment de souci de l'autre, avec un désir d’améliorer son bien-être.

Un entraînement à la compassion montre une augmentation de la connexion entre le cortex préfrontal dorsolatéral et le noyau accumbens (partie du striatum ventral). L’augmentation de cette connexion pourrait permettre à l'individu de se dégager plus efficacement de la souffrance de l'autre (pour éviter la contagion émotionnelle) et de gérer sa propre réponse émotionnelle afin d'avoir plus de ressources pour l'orienter efficacement vers une action d'aide (corrélation entre compassion et altruisme).

Une personne entraînée à la compassion peut développer des émotions positives dans un contexte où il est témoin d’émotions négatives.

A remarquer que lorsque des personnes sont entraînées uniquement à l’empathie, elles sont contaminées par les émotions négatives et sont moins en position de pouvoir apporter efficacement de l’aide.

La pleine conscience et le développement de l’attention

Des études se sont intéressées au vagabondage de l’esprit. Les personnes dans cet état se considèrent significativement plus malheureuses  que si elles sont concentrées sur l’activité du moment.

Les jeunes générations ont beaucoup de difficultés à rester seules, même quelques minutes. Elles préfèrent s’engager dans des activités, même banales, voire recevoir des stimulations négatives. Ce qui est vécu le plus péniblement, ce sont les pensées pendant l’inactivité.

Sans activité, le cerveau voit son activité augmenter dans plusieurs régions (dont le cortex préfrontal médian et le cortex cingulaire postérieur) dès lors que l’esprit vagabonde.

L’entraînement à la méditation en pleine conscience entraîne une diminution de l’activité de ces mêmes régions de ce mode par défaut. Mettant fin ainsi au vagabondage de l’esprit.



La pleine conscience peut ainsi améliorer le bien-être.

Ces quatre constituants permettent d’assurer globalement le bien-être

En terme de bien-être eudémonique, ils sont particulièrement impactant sur deux de ses dimensions : le sens de la vie et la qualité des relations sociales.

Une conclusion importante soulignée dans ce rapport est la suivante : le bien-être peut être amélioré par l’expérience et la formation, induisant une transformation plastique du cerveau.

Des études ont montré que des programmes de formation pour développer nos compétences au bien-être et au bonheur, même aussi courts que 2 semaines, peuvent conduire à des changements mesurables dans le cerveau.

Conclusion


J’en conclus que si le bonheur dépend bien de conditions objectives de vie nécessitant que la société prenne ses responsabilité pour les améliorer dès lors qu’elles n’ont pas atteint un niveau suffisant, nous avons bel bien, nous individus, les capacités d’améliorer notre bonheur en cultivant des attitudes et des comportements qui nous permettent d’être plus en prise aux émotions positives, plus résilients face aux difficultés (mais aussi moins sensibles aux petites contrariétés), plus dans la compassion et l’altruisme, plus concentrés sur notre activité du moment, et dans une attitude plus sereine face à l’inactivité.

Il s’agit alors de trouver la bonne articulation entre sa propre responsabilité (décider de cultiver le bonheur, de se lancer et de persévérer) et les responsabilités collectives facilitant l’information, l’accès et le soutien aux citoyen.ne.s, quel que soit leur âge, à des dispositifs d’apprentissage et d’entraînement au bonheur, en se référant, entre autres, aux 4 constituants évoqués dans ce rapport.


A venir, un prochain article dédié au chapitre 6 du rapport sur la transformation de la santé mentale des enfants et adolescents, abordant également une logique d’articulation des responsabilités collectives.

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