Le rapport mondial sur le bonheur 2015 a été publié le 23
avril 2015. Il a été relayé sur les médias internet, mais de manière assez
anecdotique, en se limitant à un palmarès, avec la Suisse sur la plus haute
marche du bonheur mondial et avec une 29ème place pour la France.
De mon point de vue, ce serait dommage de ne pas évoquer d’autres
éléments de ce rapport comportant 172 pages.
Je me suis intéressé à deux chapitres : le chapitre 5
sur les neurosciences et le chapitre 6 sur la transformation de la santé
mentale des enfants et adolescents.
Mais commençons par quelques mots sur ce classement.
Sur quels critères est-il établi ?
Au-delà du critère économique (PIB par habitant) qui ne fait
pas le bonheur à lui-seul, et loin s’en faut (des études montrant qu’au-delà d’un
certain seuil de revenu, l’argent ne crée plus de bonheur), les autres critères
retenus sont :
- Le support social (pouvoir compter sur quelqu’un en cas de problème)
- L’espérance de vie en bonne santé
- La liberté de faire ses choix de vie
- La générosité
- La perception de corruption (au niveau gouvernemental et dans le monde des affaires)
La note moyenne pour la France sur une échelle de 1 à 10 est
de 6,575, 1 point en-dessous de la Suisse (7,587/10), numéro 1 de ce palmarès.
Ce classement a été élaboré sur la période 2012-2014. Par rapport à la période
2005-2007, le niveau moyen de bonheur en France est en baisse de 0,238.
Je note que le niveau de bonheur en France est légèrement
supérieur au niveau de Qualité de Vie au Travail ressorti du sondage TNS-Sofrescommandé par l’Anact à l’occasion de la semaine de la QVT en juin 2013 :
6,1/10.
Bonheur et neurosciences
Le chapitre 5 du rapport mondial sur le bonheur 2015 est
consacré à des enseignements récents des neurosciences par rapport au bonheur
et au bien-être psychologique.
Si pendant de nombreuses années, émotion et raison ont été
considérées comme associées à des parties cérébrales distinctes, les travaux
par imagerie médicale sur le cerveau ont mis en évidence au cours des deux
dernières décennies qu’il existe en réalité des interactions entre ces parties.
Face à nos expériences de vie, celles qui sont agréables et
celles où l’on est exposé à l’adversité et au stress, le cerveau est amené à se
transformer au niveau plastique (neuro-plasticité du cerveau), à la fois aux
niveaux structure et fonctionnement. Ces changements impactent clairement notre
bien-être.
La neuro-plasticité est également mise en jeu dans toutes
les activités d’apprentissage et d’entraînement visant à cultiver notre
bien-être.
Autrement dit, la neuro-plasticité fonctionne à l’insu de
notre plein gré (pour reprendre une formulation cycliste célèbre) dans notre
vie de tous les jours, et également à travers nos actes intentionnels de
culture de notre bonheur.
Quatre éléments constitutifs majeurs du bien-être sont
rapportés :
- La durabilité des émotions positives ;
- La résilience, la capacité à surmonter rapidement de l’adversité ;
- Le développement de l’empathie, de la compassion et de l’altruisme ;
- La pleine conscience et la capacité d’attention.
Durabilité des émotions positives
Les émotions positives mettent en jeu deux parties du
cerveau : le cortex préfrontal ventral et le striatum ventral.
Le maintien dans la durée des émotions positives dépend de
la bonne activité de ces régions et du bon niveau de connectivité entre ces
deux parties. Il a été démontré sur des populations de personnes déprimées que
l’utilisation d’un antidépresseur renforce l’activité du striatum permettant
aux personnes de ressentir plus d’affects positifs.
Les impacts des émotions positives sont différents selon le
type de contexte : recevoir une récompense n’est pas prédictif de plus de
bien-être de manière durable. En revanche, apporter de l’aide à quelqu’un
apporte non seulement une émotion positive mais impacte plus durablement le
bien-être.
Cela renvoie aux deux niveaux de bien-être :
- Le bien-être dit hédonique, nourri par le plaisir, la réduction des émotions désagréables et la satisfaction de vie. Ce type de bien-être est impacté par le processus d’adaptation hédonique.
- Le bien-être dit eudémonique (ou psychologique) conditionné par le sens de sa vie, la croissance personnelle, l’acceptation de soi, l’autonomie, la qualité des relations interpersonnelles et le contrôle de son environnement.
Résilience
Il s’agit de pouvoir maintenir un niveau élevé de bien-être
face à l’adversité et de récupérer rapidement suite à un stimulus négatif.
L’amygdale est la partie centrale du cerveau dans ce
processus de résilience. Mais la régulation des émotions négatives met en jeu
la région préfrontale du cerveau.
L’apprentissage de stratégies de régulation des émotions, en
particulier dans des situations de niveau modéré d’adversité, contribue à l’amélioration
du bien-être.
Empathie, compassion et altruisme
L'un des meilleurs prédicteurs du bien-être d’un individu est
la qualité de ses relations sociales, quel que soit l’âge, et ceci uniformément
dans toutes les cultures.
Il est à noter qu’un cercle vertueux se met en place :
un comportement pro-social augmente le bien-être, ce qui favorise le
comportement social.
Le comportement pro-social nécessite un préalable : l’activation
de l’empathie. Elle va permettre à un individu à la fois de reconnaître les
émotions de l’autre et de les partager.
De là pourra naître (ou pas) le
mouvement d’aider l’autre (corrélation entre l’empathie et l’altruisme).
Les parties du cerveau engagées dans l’empathie sont les
mêmes que dans l’expérience de nos propres émotions.
L’intensité de l’empathie dépend du niveau de proximité avec
la(es) personne(s) en face.
L’étude par l’imagerie médicale de l’altruisme a montré une
activité dans les mêmes régions (aire tegmentale ventrale et dorsale et striatum
ventral) que l’on reçoive de l’argent ou qu’on en donne.
L’activité s’est
révélée plus forte dans l’acte de donner que dans celui de recevoir. Cela
permettant de confirmer l’adage « Il y a plus de bonheur à donner qu'à
recevoir».
La compassion a aussi été étudiée. Elle est définie comme un
sentiment de souci de l'autre, avec un désir d’améliorer son bien-être.
Un entraînement à la compassion montre une augmentation de
la connexion entre le cortex préfrontal dorsolatéral et le noyau accumbens
(partie du striatum ventral). L’augmentation de cette connexion pourrait
permettre à l'individu de se dégager plus efficacement de la souffrance de
l'autre (pour éviter la contagion émotionnelle) et de gérer sa propre réponse
émotionnelle afin d'avoir plus de ressources pour l'orienter efficacement vers
une action d'aide (corrélation entre compassion et altruisme).
Une personne entraînée à la compassion peut développer des
émotions positives dans un contexte où il est témoin d’émotions négatives.
A remarquer que lorsque des personnes sont entraînées
uniquement à l’empathie, elles sont contaminées par les émotions négatives et sont
moins en position de pouvoir apporter efficacement de l’aide.
La pleine conscience et le développement de l’attention
Des études se sont intéressées au vagabondage de l’esprit. Les
personnes dans cet état se considèrent significativement plus malheureuses que si elles sont concentrées sur l’activité
du moment.
Les jeunes générations ont beaucoup de difficultés à rester
seules, même quelques minutes. Elles préfèrent s’engager dans des activités,
même banales, voire recevoir des stimulations négatives. Ce qui est vécu le
plus péniblement, ce sont les pensées pendant l’inactivité.
Sans activité, le cerveau voit son activité augmenter dans
plusieurs régions (dont le cortex préfrontal médian et le cortex cingulaire
postérieur) dès lors que l’esprit vagabonde.
L’entraînement à la méditation en pleine conscience entraîne
une diminution de l’activité de ces mêmes régions de ce mode par défaut.
Mettant fin ainsi au vagabondage de l’esprit.
La pleine conscience peut ainsi améliorer le bien-être.
Ces quatre constituants permettent d’assurer globalement le
bien-être.
En terme de bien-être eudémonique, ils sont particulièrement
impactant sur deux de ses dimensions : le sens de la vie et la qualité des
relations sociales.
Une conclusion importante soulignée dans ce rapport est la
suivante : le bien-être peut être amélioré par l’expérience et la
formation, induisant une transformation plastique du cerveau.
Des études ont montré que des programmes de formation pour
développer nos compétences au bien-être et au bonheur, même aussi courts que 2
semaines, peuvent conduire à des changements mesurables dans le cerveau.
Conclusion
J’en conclus que si le bonheur dépend bien de conditions
objectives de vie nécessitant que la société prenne ses responsabilité pour les
améliorer dès lors qu’elles n’ont pas atteint un niveau suffisant, nous avons
bel bien, nous individus, les capacités d’améliorer notre bonheur en cultivant
des attitudes et des comportements qui nous permettent d’être plus en prise aux
émotions positives, plus résilients face aux difficultés (mais aussi moins
sensibles aux petites contrariétés), plus dans la compassion et l’altruisme, plus
concentrés sur notre activité du moment, et dans une attitude plus sereine face
à l’inactivité.
Il s’agit alors de trouver la bonne articulation entre sa
propre responsabilité (décider de cultiver le bonheur, de se lancer et de
persévérer) et les responsabilités collectives facilitant l’information, l’accès
et le soutien aux citoyen.ne.s, quel que soit leur âge, à des dispositifs d’apprentissage
et d’entraînement au bonheur, en se référant, entre autres, aux 4 constituants
évoqués dans ce rapport.
A venir, un prochain article dédié au chapitre 6 du rapport
sur la transformation de la santé mentale des enfants et adolescents, abordant
également une logique d’articulation des responsabilités collectives.
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