Poser la question de la responsabilité peut adresser trois types de situation :
- Examiner la cause d'un problème que je rencontre ou que j'ai rencontré
- Trouver qui peut/doit agir pour trouver une solution à un problème
- Adopter les comportements du quotidien qui ont un impact sur le présent et l'avenir d'autrui, directement ou indirectement (par exemple : quelles responsabilités en terme d'enjeu de préservation de la planète dans nos actes du quotidien).
Dans cet article, je vais m'intéresser aux deux premiers types de situation.
C'est la faute à qui ?
J'utilise la notion de "faute" volontairement dans le titre de cette partie pour de prime abord attirer l'attention sur le fait que quand on recherche la cause d'un problème, la tentation est forte à non pas comprendre les responsabilités et les causes, mais à chercher une faute et dès lors un ou des coupables.
Voilà un piège redoutable, surtout qu'il entraîne souvent une analyse sans nuances où on va charger la barque d'une personne ou d'un groupe de personnes.
Il peut s'agir d'une autre personne ou d'un groupe de personnes auquel on n'appartient pas. De ce fait on s'exclut de la moindre responsabilité et on met en cause (et non en recherche de cause) et en position de faute, en cherchant un ou des coupables en dehors de soi. On se considére comme étranger à la situation ou victime.
Il s'agit alors bien souvent d'une habitude, un trait de personnalité où le
lieu de contrôle ("locus of control" en anglais) est
externe. En d'autres mots, il s'agit de considérer que le problème est attribué à quelqu'un d'autre, à la malchance, à la fatalité, ...
En revanche, si le lieu de contrôle est interne, la causalité est plutôt recherchée en première intention en soi. Et quand ce trait est très ancré, la causalité est systématiquement recherchée et trouvée, exclusivement en soi. Auquel cas, bien évidemment il y a le risque de surcharger sa propre barque.
Pour en revenir au piège de rechercher une faute et un coupable en lieu et place d'une causalité et de responsabilité, on voit donc que dans le cas d'un lieu de contrôle interne, on se trouve dans une situation d'auto-culpabilité.
Donc en fonction de ce lieu de contrôle, et si le lieu de contrôle est très ancré (soit en externe, soi en interne), le coupable est soit autrui, soit soi-même.
A noter que ce lieu de contrôle a tendance à s'inverser selon que l'on recherche une causalité sur un problème ou sur une réussite. C'est ce que met en évidence Martin Seligman, fondateur de la psychologie positive dans son livre "La Force de l'optimisme".
Un optimiste a tendance à avoir un lieu de contrôle interne pour les réussites ("c'est grâce à moi") et un lieu de contrôle externe pour les échecs ("c'est de leur faute"); c'est l'inverse pour le pessimiste qui minimise sa responsabilité dans les réussites et s'attribue les échecs. Dans le tableau ci-dessous que j'ai adapté du livre, on voit qu'il y a aussi deux dimensions qui entrent en jeu : la permanence ("c'est toujours comme ça" ou "c'est exceptionnel") et la généralisation ("c'est pour tous les domaines" ou "c'est pour un seul domaine") :
Définitivement, prendre un problème par la question "C'est la faute à qui ?" est une très mauvaise idée, quelle que soit la sphère de vie, et constatons que malheureusement c'est un piège dans lequel on tombe facilement, d'autant plus dans les environnements où vitesse, précipitation, compétition, excellence, peur, défiance, ... sont présents. En tant que spécialiste de la Qualité de Vie au Travail, je considère l'enjeu de droit à l'erreur comme considérable, comme tout autant celui de savoir faire la part des choses entre analyser un problème et chercher un coupable.
C'est un piège aussi que l'on peut trouver dans certaines formes d'actions de psychothérapie où le travail consiste à un transfert de culpabilité : dans la bonne intention d'aider le patient à se débarrasser d'une auto-culpabilité, le psychothérapeute transfert "la faute" sur autrui (souvent sur les proches, et en particulier sur les parents). Alors qu'il me semble qu'un travail plus sain et plus écologique est celui déjà de faire la part des choses entre coupable et responsable, entre chercher une faute (et généralement on la trouve) et essayer de comprendre des liens de causalité (exercice qui peut ne pas aboutir, ce qui peut interroger sur la pertinence de focaliser sur les liens de causalité).
La balle est dans quel camp ?
Je vais continuer à me référer à Martin Seligman qui explique dans le même livre :
"On réagit à l'adversité d'abord par la pensée. Celle-ci se solidifie et devient rapidement une disposition habituelle d'esprit, bref, une interprétation dont les ressorts n'apparaissent clairement que lorsque l'on s'attache à les analyser. Et cette interprétation a des conséquences puisqu'elle conditionne sentiments et comportements. C'est elle qui fait la différence entre abattement et renoncement d'un côté et bien-être et action positive de l'autre."
La stratégie pour faire face à un problème va donc dépendre beaucoup de notre disposition habituelle (schéma de pensée), de notre lieu de contrôle privilégié (qui peut s'inverser pour les réussites) qui nous fait souvent répéter le même comportement (éventuellement inadéquat).
Si le lieu de contrôle est particulièrement externe, on va avoir tendance à considérer que la solution doit venir des autres. Et quand la solution ne vient pas, cela peut conduire à de la colère, de l'impatience, de la frustration, de l'abattement. Quelques fois, elle s'accompagne d'un désir que la situation puisse se débloquer par un coup de baguette magique, un claquement de doigt, un déclic, une étincelle, ...
Si le lieu de contrôle est particulièrement interne, le risque est de vouloir absolument chercher des solutions en soi et par soi, sans prendre en considération que la solution peut se construire avec d'autres. Si on manque de confiance, la tâche pourra sembler insurmontable.
En réalité, la balle peut se jouer à plusieurs et c'est ce que j'évoquerai dans la partie "Articulation des responsabilités".
Un juste équilibre (pour revenir au titre du présent article) consistant à trouver un juste milieu en matière de lieu de contrôle, à savoir explorer à la fois l'interne et à la fois l'externe. La conclusion étant souvent que la responsabilité est répartie et que l'action à mener pour trouver une solution peut être conjuguée et plurielle.
La stratégie de la réfutation
Martin Seligman propose une stratégie pour faire face à une adversité, un problème. Elle vise à analyser les éventuels comportements inadéquats liés à une interprétation biaisée de la situation. Puis à trouver des alternatives aux habitudes.
Elle se joue en 5 questions successives :
- Quel est le problème ?
- Quelle est mon interprétation ? Et quelles sont les émotions que je vis ?
- Quel comportement cela induit-il chez moi ? Et quelles sont les conséquences en terme d'efficacité, sur les relations interpersonnelles ?
- Comment puis-je réfuter (revisiter) mon interprétation ?
- Quelle serait alors l'issue avec cette réinterprétation ?
La deuxième question permet de poser clairement l'enjeu suivant : ce que je pense par rapport à la situation est une interprétation de la situation, une lecture de la situation par rapport à mes croyances, mes valeurs, mon vécu, ce qui me semble normal et anormal, juste ou injuste, ...
La façon de poser successivement les questions et en particulier de poser la 2ème puis la 3ème question met en évidence le lien entre la pensée et le comportement : mon comportement est induit par ma pensée et les émotions ressenties à cette pensée. Si j'ai une une pensée qui me met en colère, mon comportement sera dicté par la colère. Si j'ai une pensée qui me laisse dans le désarroi, mon comportement sera peut-être un renoncement.
Comment peut-on réfuter l'interprétation ? Comment peut-on réinterpréter la situation de manière plus positive, plus équilibrée, plus efficace ? Martin Seligman propose 4 méthodes :
- les faits à l'appui : il s'agit de faire la part des choses entre factuel et interprétation, d'examiner si ce que je pense est une réalité objective. Si je donne un chiffre, est-il exact ? Ne suis-je pas en train de généraliser ?
- les alternatives : n'ai-je pas d'autres façons de pouvoir interpréter la situation ? Puis-je me mettre à la place d'autres personnes qui sont concernées par la situation ? Puis-je me mettre en empathie avec elles pour comprendre leur point de vue ? Par exemple, et si ce que je vois comme une ingérence de la part d'une autre personne dans ma vie était la manifestation - peut-être maladroite - d'une attention à mon égard ?
- la portée : même si mon interprétation est juste, quel est l'enjeu, la portée ? Ne suis-pas pas en train d'exagérer les conséquences ?
- l'utilité : si j'appuie mon interprétation sur mon échelle de valeurs, celle-ci n'est-elle pas en train de me jouer des tours ? Par exemple, si j'ai une conception très exigeante de la justice, ne suis-je pas en train de poser mon regard sur une situation avec une attente trop forte et peut-être irréaliste ?
Articulation des responsabilités
Je redonne un schéma créé pour l'occasion :
Face à une situation problématique, je vois 4 types d'actions à considérer successivement :
- Est-ce à ma portée, tout seul ? Auquel cas, j'agis, avec une intention juste (objectif réaliste) dans une action déterminée (éventuellement demandant courage, effort et patience) et durable. Je peux peut-être aussi demander un soutien moral autour de moi
- Si ce n'est pas à ma portée, serait-ce à la portée d'un groupe dans lequel je me trouve. Auquel cas, agissons ensemble et peut-être que j'aurai aussi à agir en parallèle tout seul
- Si ce n'est pas à notre portée. Peut-être que ce pourrait être à la portée de quelqu'un d'autre ou de plusieurs personnes. Peut-être puis-je en faire la demande ?
- Si c'est hors d'atteinte, alors, à moi de considérer si c'est une vérité du moment ou s'il se serait pas le moment d'entrer dans le désespoir, positivement, au sens du philosophe contemporain André Comte-Sponville; à savoir : arrêter d'espérer une chose qui n'est pas ma portée et me focaliser sur les aspects positifs de ma vie, désirer ce que j'ai déjà ici et maintenant
Je fais référence dans ce schéma à 2 principes de la Grèce antique qui étaient inscrits sur le fronton du temple de Delphes "Connais-toi toi-même" et "Rien de trop".
La plus grande partie de mon article s'inscrit dans l'idée du "Connais-toi toi-même".
L'idée du "Rien de trop" concerne la mise en action : il est important d'avancer par petit pas réalistes.
Elle fait référence aussi à la citation très voisine de Voltaire : "Le mieux est l'ennemi du bien".
Ce qui renvoie à la question initiale : le problème en est-il vraiment un ou alors la manifestation d'une insatisfaction due, soit à l'impatience soit à la recherche de la perfection ou de l'excellence, ou à la fuite en avant induite par la société de consommation où l'on veut toujours plus.