mardi 31 décembre 2019

2020, l'année de tous les changements


En cette toute fin d'année 2019, je reviens à l'idée initiale de la création de ce blog : évoquer le bonheur et la psychologie positive à travers des verbes.
Il en est un dont je m'aperçois que je ne l'ai pas abordé en tant que tel, même s'il est en filigrane de tous les articles de ce blog : CHANGER.

L'année 2020 se doit être une année charnière, d'autant plus que 2019 aurait dû l'être et qu'elle ne l'a pas été. Je reprends les propos du Secrétaire Général de l'ONU en septembre 2018 :

« Si nous ne changeons pas de cap d'ici 2020, nous risquons de passer à côté de l'essentiel qui fait que nous pouvons éviter un changement climatique galopant, avec des conséquences désastreuses pour les populations et tous les systèmes naturels qui nous font vivre. »

Une année de tous les dangers, et malheureusement cette expression ne fait pas dans la catastrophisme. Elle représente d'autant plus un tournant que les Etats n'ont pas pu se mettre d'accord pendant la COP 25 en novembre dernier sur des actions indispensables pour réduire notamment les émissions de Gaz à Effet de Serre (GES).

On peut distinguer le "changer" et le "CHANGER". Le premier pouvant représenter le petit pas, le petit changement, le deuxième pouvant représenter le changement radical (ou "disruptif" terme à la mode). "changer" peut aussi représenter le changement au niveau individuel ou local et "CHANGER" le changement au niveau global, politique, des grosses industries.

Le 30 novembre dernier, j'ai publié un manifeste sur le site de pétition MesOpinions.com appelant les citoyennes et citoyens à prendre en compte au niveau local de l'urgence climatique, sociale et démocratique à l'occasion des élections municipales de mars 2020. A ce jour, un peu plus de 24 100 personnes ont signé ce manifeste et environ 580 d'entre-elles se sont exprimées via un commentaire.

Mon manifeste appelle à la fois à un "changer" et à un "CHANGER". La lecture des commentaires m'a montré qu'un certain nombre de signataires semble avoir retenu principalement dans mon manifeste la dimension de dénonciation, d'alerte au détriment de la dimension constructive et responsabilisante interpellant l'individu. Un piège qui apparaît bien souvent dans les réactions défensives face à l'emballement climatique (mais aussi face aux problèmes sociaux et démocratiques) : le grand méchant OU. C'est ainsi que nous l'appelons Christian Bruneteau et moi dans nos échanges réguliers depuis maintenant un an. Les deux grandes idées évoquées dans ces commentaires tombant dans le piège du grand méchant OU sont :

  • Eux d'abord, et ensuite je suivrai ! Exemple : "A quoi ça sert qu'on réduise nos déchets plastique alors que le vrai sujet c'est celui de l'arrêt de la production d'emballages plastique. Revoyez déjà votre agenda sur le sujet - 2040, je rêve ! - et nous on verra après ce qu'on peut faire individuellement"
  • Ce que je peux faire est une goutte d'eau dans l'océan. Exemple : "A quoi ça sert que je change ma voiture diesel contre une moins polluante alors qu'une des compagnies de croisière émet avec ses 94 bateaux dix fois plus d'oxyde de soufre que l'ensemble des 260 millions de voitures du parc automobiles européen"


Inciter au changement dans la perspective des élections municipales de mars 2020

Le mouvement des gilets jaunes et celui qui s'est constitué face au nouveau système de retraite montrent une énorme incapacité de notre société, des politiques, des dirigeants des entreprises et des individus à aborder les changements collectifs avec lucidité, concertation, motivation, conviction, responsabilité et bienveillance (dans un esprit gagnant-gagnant). Une énorme incapacité à peser équitablement, individuellement et collectivement, les intérêts individuels et collectifs. Une incapacité gigantesque à considérer le vivant autre qu'humain dans les intérêts collectifs. Les autres qu'humains étant considérés comme ressources, objets plutôt que acteurs et sujets. L'échec de la COP 25 est aussi dû à l'incapacité de dépasser les intérêts particuliers et de considérer les intérêts collectifs et globaux.

Ces incapacités, particulièrement flagrantes en France, qui se renforcent dans des cercles vicieux, font que ceux qui veulent conduire le changement tendent à l'imposer aux autres (en les infantilisant) et ceux à qui on l'impose réagissent en résistant ou en s'y pliant de mauvaise grâce en se considérant victimes directes ou collatérales.

En 2020, et à l'approche des élections municipales, il est largement temps que notre société change de système d'exploitation, de paradigme pour aborder les changements. Les politiques sont peu enclins à coconstruire avec les citoyennes et citoyens les mesures indispensables pour limiter les effets de l'emballement climatique (dont certains sont déjà bien présents y compris en France). Dans la mesure où le GIEC explique que 50% à 70% des leviers d'action sont en local, il est largement temps que les élu·es, potentiel·les élu·es et électrices et électeurs utilisent ce premier trimestre 2020 pour lancer une vraie dynamique de changement des comportements individuels et collectifs. En pensant local ET global, en agissant local ET en lien avec le global.  Pour tourner le dos au grand Méchant OU exclusif et ouvrir largement la porte au ET inclusif. Cela nécessite beaucoup de  bienveillance, d'indulgence, de tâtonnements, d'expérimentation, d'appréciation des petits pas effectués, d'encouragements, ...

Un changement qui permet de sortir de l'impuissance solitaire en s'engageant dans la puissance coopérative. L'individu a 3 leviers gigantesques qu'il sous-utilise, par l'addition et l'union des forces, et notamment selon le principe que les petits ruisseaux font les grandes rivières :
  • la puissance par ses choix de consommation. Un groupe important de consommateurs peut peser sur l'évolution de l'offre en redirigeant la demande
  • la puissance par son droit de vote. Un groupe suffisamment important de citoyen·es au niveau d'un territoire peut peser sur les programmes électoraux et le passage à une démocratie participative, contributive, directe, ... (nul besoin d'être une majorité de la population : une proportion de quelques pourcents peut suffire)
  • la puissance par son talent unique dans son travail et l'affirmation de soi. Un groupe de salariés au sein d'une organisation peut faire bouger les lignes en matière de conditions de travail, d'objectifs, de qualité, de qualité de vie au travail (QVT), de rémunérations, ... La grève est un instrument de dernier recours, mais il y en a d'autres à explorer et à cultiver en amont en construisant un dialogue social et une démocratie au travail plus forts
Au niveau collectif, les petits peuvent aussi coopérer entre eux pour peser face aux gros qui leur dictent leur loi. Par exemple, les entreprises qui vendent via Amazon pourraient se regrouper pour faire contre-pouvoir aux clauses contractuelles définies de la manière unilatérale par le groupe.

Et un des changements les plus importants est de mettre plus de parité dans les relations, qu'elles soient humaines ou économiques : les relations saines doivent se coconstruire et s'ajuster ensemble et aucune des parties ne doit prendre le dessus et/ou exploiter l'autre

Chaque partie dans une relation doit prendre soin :
  • d'elle-même, 
  • de l'autre,
  • de la relation elle-même,
  • et des impacts de la relation sur d'autres parties, que ces autres parties soient humaines ou autres qu'humaines (le vivant au sens général et les ressources de la planète)
Je reviendrai sur le sujet du changement prochainement, notamment à travers une modélisation de la bienveillance à laquelle j'ai travaillé en 2019. Notre bonheur, celui de nos enfants, celui des générations futures et notre bienveillance vis-à-vis des autres qu'humains nécessitent que nous nous retroussions les manches sans plus attendre en regardant avec lucidité l'état du monde, au-delà de la partie visible de l'iceberg, et en faisant confiance en notre humanité et notre puissance coopérative plutôt que dans d'hypothétiques progrès scientifiques et décisions politiques qui nous dédouaneraient de notre responsabilité individuelle.

Je souhaite aux lectrices et lecteurs de ce blog mes vœux d'une vie paisible pour 2020 en abordant avec vitalité, tempérance, détermination et appréciation tous les changements dont certains me semblent inévitables à courte échéance. En m'inspirant de la célèbre réplique "Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi !", je conclus par "Si tu ne viens pas au changement, le changement viendra à toi !".

dimanche 17 novembre 2019

Moi, homme masculin


Article révisé le 18/11/2019 suite à la publication du Rapport annuel des droits de l'enfant 2019

Dans mon article Le papillon, la serre et le permafrost (ou pergélisol) de septembre 2019, j'ai évoqué l'apparition simultanée il y a entre 5 000 et 10 000 ans du patriarcat, de l'agriculture et de la propriété.

Depuis le début de l'ère industrielle, les activités humaines sur la planète laissent des traces indélébiles qui non seulement tuent la biodiversité et les êtres vivants, mais aussi menacent sérieusement la vie des générations à venir, et l'avenir des plus jeunes générations.

Par cet article, je démarre une série visant à mettre en évidence les conséquences désastreuses du patriarcat sur les humains et sur la planète. Une série d'articles qui interpelle les hommes masculins et leur masculinité, et les femmes non encore engagées sur des enjeux féministes ; en effet, elles peuvent apporter leur contribution à déboulonner les modèles "masculin" et "féminin" imposés par les hommes masculins depuis des générations et confortés par les différentes religions depuis leur origine.

L'homme masculin considère dans la plupart de ses sphères de vie qu'il a des droits. Autant de droits qui, quand ils sont considérés de manière trop étroite et égocentrée, conduisent à la domination voire l'exploitation de l'homme sur la femme, de l'adulte sur l'enfant, du dirigeant d'entreprise sur le salarié, de l'élu sur le citoyen, de l'humain sur la nature.

Le reproche qui a été fait par le mouvement des gilets jaunes envers la domination et la déconnexion des élites politiques mérite d'être aussi fait dans d'autres sphères y compris dans la sphère familiale.

Je vous propose le tableau ci-dessous qui remet en cause l'homme masculin dominant la domination de l'être humain sur le reste du vivant. Cela touche 3 dimensions :

  • une dimension sociale et humaniste
  • une dimension écologique
  • une dimension démocratique

Ce tableau part de l'idée "J'ai le droit" ou "Je me considère avoir le droit" ou "Je suis dans mon bon droit quand ..." déclinée dans plusieurs contextes de vie.

Ai-je le droit ...
Réponse toute faite
mais mal faite
En intégrant humilité, parité coopération et gagnant-gagnant
Ai-je le droit de décider seul pour ma conjointe ?
C’est moi l’homme qui décide et qui la protège
Ma conjointe a son libre arbitre. Elle peut compter sur moi si elle a besoin de moi et de mon avis
Ai-je le droit de décider seul pour mon couple ?
C’est moi l’homme
Nous prenons les décisions ensemble. Ma voix ni ma voie ne comptent plus que les siennes
Ai-je le droit de décider d’entamer, voire de forcer un rapport sexuel avec ma femme si elle n’y consent pas ?
C’est le devoir conjugal qui s’applique. Tout le monde sait qu’un Non cache souvent un Oui. Ca fait partie du jeu de la séduction
Forcer un rapport sexuel au sein d’un couple relève du viol depuis 2006. Tout rapport sexuel au sein d’un couple doit être mutuellement consenti et le refus de l’un des deux membres du couple doit être respecté par l’autre.
Ai-je le droit de décider seul pour mon foyer ?
Je suis le chef de famille
La notion de chef de famille n’existe plus. Les deux parents sont coresponsables. On peut demander leur avis aux enfants, voire les faire participer aux décisions en fonction de leur âge et du type de décision
Moi, Président, ai-je le droit de décider seul pour mon association ?
C’est le mandat que j’ai reçu, je suis légitime
Je n’ai pas à imposer mon avis sous prétexte que je suis Président et/ou du fait que je suis particulièrement actif.
Je dois limiter au maximum mes privilèges et me considérer à la même hauteur que chacun·e dans l’association même si on me donne du “Mr le Président”
Moi Président de la République, ai-je le droit de décider seul pour la population française ?
C’est le mandat que j’ai reçu, je suis légitime
Je dois être connecté avec la réalité des citoyens, les consulter, les appeler à contribuer, ne pas décider à mon niveau ce qui pourrait se décider à un niveau local.
Je dois être connecté aussi avec les autres peuples, avec la planète et contribuer à sa préservation pour les générations futures.
Je dois limiter au maximum mes privilèges et me considérer à la même hauteur que chaque citoyen même si on me donne à tout bout de champ du “Mr le Président” et si je vis sous les dorures des palais
Moi dirigeant ai-je le droit de décider seul pour mon entreprise ?
C’est mon entreprise
Les personnes qui travaillent avec moi ne sont pas des “ressources”humaines mais des “richesses” humaines dont je suis proche. J’ai confiance en elles et en l’intelligence collective qui m’évite de décider seul dans ma tour d’ivoire. Sans les personnes qui travaillent avec moi, je ne suis rien et mon entreprise n’est rien. Sans les fournisseurs, sans les clients, sans la planète, je ne suis rien et mon entreprise n’est rien
Moi chef ai-je le droit de décider seul pour mon équipe ?
C’est mon équipe et c’est moi qui décide
En réalité, soyons humble, c’est plutôt au-dessus de moi que ça se décide et ça doit être remis en cause.
Nous constituons une équipe et je me considère l’animateur, le coach de l’équipe. Je respecte chaque membre de mon équipe et chacun apporte une contribution précieuse.
Moi Maire, ai-je le droit de décider seul pour ma commune ?
C’est le mandat que j’ai reçu, je suis légitime
Je n’ai pas la science infuse et nous devons prendre au sein de la commune des décisions qui protègent les individus, la planète et les générations futures
Je me considère comme un animateur et un médiateur, au même titre que les autres élus
Je dois limiter au maximum mes privilèges et me considérer à la même hauteur que chacun·e dans la commune même si on me donne du “Mr le Maire”
Moi, humain, ai-je le droit de décider seul pour MES animaux domestiques ?
Ce sont mes animaux. Dans la loi, il est écrit qu’ils font partie de mes biens meubles.
Dès lors qu’ils me procurent plus de gêne que de satisfaction, que je m’en lasse, je m’en débarrasse
Depuis janvier 2015 l’animal n’est plus considéré comme un bien meuble mais comme “un être vivant doué de sensibilité”
Plutôt que de parler de mes droits par rapport à mes animaux, je me concentre sur ses droits à lui : nourriture, eau, abri, évacuation de ses excréments, … et affection
Ils font partie de la famille et nous les respectons.
Moi, humain, ai-je le droit de décider seul pour les autres qu’humains et pour la planète ?
La nature est en abondance et à mon service pour répondre à mes besoins et mon confort
Ce que je rejette dans la nature, elle le recycle naturellement … et si tel n’est pas le cas, après moi le déluge car la vie est faite pour être vécue sans se prendre la tête
J’ai une grande responsabilité car j’ai un pouvoir potentiel de nuisance énorme du fait de l’intelligence humaine dont je ne représente qu’une très petite part. D’ailleurs, en y réfléchissant, je m’aperçois que sans l’accumulation de l’intelligence de plusieurs générations de quelques scientifiques, ingénieurs et techniciens presque aucun de mes gestes quotidiens ne serait possible (électricité, transport, communications numériques, …)
La terre est la forêt qui m’abrite et qui ne m’appartient pas. J’en suis une partie : un arbre. Je suis la nature.
Je préserve la biodiversité et je prélève dans la nature le strict minimum dont j’ai vraiment besoin en prenant en compte les capacités de ressourcement. Une simplicité qui me donne la joie de vivre en harmonie avec les autres humains et autres qu’humains



Il y a une alternative au mâle dominant, qui peut être plus ou moins dominant, dominant variablement selon la sphère de vie ou la situation de vie. Cette alternative est l'homme masculin juste. Je reprends la formulation d'Ivan Jablonka et de son livre récent Des hommes justes que je vous conseille vivement.

Selon le type de posture de l'homme masculin, son comportement peut être schématiquement classifié en trois catégories en matière de bienveillance :

  • la bienveillance : l'homme masculin juste est attentif et prend soin des autres êtres humains et des êtres autres qu'humains. Il refuse les privilèges que culturellement il pourrait s'octroyer, notamment par rapport à la femme. Il chemine à la réduction de ses privilèges et coopère avec les femmes pour aller vers l'équité, la parité, l'égalité en respectant la singularité de chaque individu. Il résiste à la tentation de la facilité de l'immobilisme.
  • l'absence de bienveillance (allant de pair avec l'absence de malveillance) : l'homme masculin profite des privilèges de son genre et ne fait pas attention notamment au déséquilibre de la répartition des tâches dans la cellule familiale ; il peut vaguement participer, et chaque fois il fait remarquer ostensiblement qu'il "aide" sa femme et doit en être remercié particulièrement ; il ne prend pas la mesure non plus que beaucoup de femmes sont dans des situations de précarité, cantonnées dans des métiers au salaires et aux conditions de travail bas de gamme. Même si sur le principe, il peut être d'accord pour la parité et l'égalité, il n'apporte pas sa contribution à faire bouger le système et surtout pas si ça peut lui faire perdre ses propres privilèges. Il n'est pas malveillant avec les femmes et en cela il trouve qu'il est un homme "bien". Il y a une absence de bienveillance plus coupable et répréhensible : ne pas intervenir ou ne pas signaler quand il est témoin de violence commise par des mâles dominants (non assistance à personne en danger). 
  • la malveillance : le côté mâle dominant de l'homme masculin le conduit à être violent dans ses paroles et dans ses actes vis-à-vis des femmes, des enfants, des hommes masculins qu'il juge "sous-homme" ou pas assez homme. Les chiffres sont effrayants et insupportables : 35% des femmes dans le monde ont subi des violences physiques et/ou sexuelles à un moment de leur vie. Chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violence de leur conjoint ou ex-conjoint en France. L'actualité du jour concerne les féminicides avec un rapport de mission sur les homicides conjugaux faisant 24 recommandations. Un enfant meurt de maltraitance en France tous les 5 jours. Il y a aussi des violences moins spectaculaires : les propos sexistes, les blagues salasses, les comportements inciviques, le management par la pression, le mépris, les insultes, ...
Ce qui m'amène à dresser un tableau qui pourra sembler caricatural mais qui a le mérite je l'espère de proposer une alternative au mâle dominant en m'appuyant sur l'idée originelle de ce blog, à savoir le bonheur à travers des verbes. Ci-dessous un tableau construit autour de verbes cardinaux. 


Moi, mâle dominant
Moi, homme masculin juste
Moi, mâle dominant, je suis au-dessus des autres (femmes, enfants, femmelettes, pédés, pauvres, étrangers, animaux, …). “Etre ou ne pas être” n’est pas ma question. “Etre encore plus” est mon affirmation
Les statuts les plus prestigieux me sont réservés
Moi, homme masculin juste, je suis un être vivant, un être humain de sexe masculin. La seule chose qui me sépare d’une femme est d’ordre anatomique. Ce n’est pas rien, mais ça ne justifie en aucune façon que je sois supérieur ou au-dessus d’elle.
Ce qui me différencie des êtres autres qu’humains est le fruit de l’évolution et nous fait appartenir à la même famille
Moi, mâle dominant, je m’octroie le droit d’avoir plus que les autres
Moi, homme masculin juste, je veux tendre à une répartition plus juste des richesses et surtout que chacun puisse être en situation d’accéder au bonheur parce que ses besoins vitaux auront été assurés. Le verbe “être” est plus central pour moi que le verbe “avoir”
Moi, mâle dominant, je m’octroie le droit de dire et m’exprimer de telle façon que mes attentes et mes insatisfaction soient entendues et qu’elles trouvent une réponse qui me satisfassent
Moi, homme masculin juste, je m’octroie le droit de m’exprimer dans la bienveillance et tout autant le devoir d’écouter. Il est important que j’exprime dans une affirmation de moi bienveillante mes attentes, mes insatisfactions et tout autant mes satisfactions et ma gratitude.
Moi, mâle dominant, je m’octroie le droit de pouvoir faire ce que je veux, quand je veux, sans entrave, selon le principe “la fin justifie les moyens”, y compris par la force pour éliminer les entraves. La technologie fruit de l’intelligence humain en général est à mon service pour faire encore plus et plus vite
Moi, homme masculin juste, je m’octroie le droit à la liberté de faire selon le principe fondamental “la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres”. Je recherche le gagnant-gagnant et je réfléchis aux impacts de mes actes.
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. La technologie doit être au service de l’ensemble de la planète et des futurs générations.
Moi, mâle dominant, je m’octroie le droit de penser que je suis tout-puissant et que tout m’est dû à l’instant
Moi, homme masculin juste, je m’octroie la liberté de penser et je suis conscient que mes paroles et mes actes sont reliés directement à mes pensées. Je suis vigilant aussi à mes pensées négatives qui peuvent me conduire à mal me comporter.
Penser avant et après l’agir me permet d’être bienveillant et de grandir.

Le cheminement vers l'homme juste n'est pas facile. Il est exigeant. Il nécessite de s'interroger sur les situations de vie du quotidien, notamment au sein de la cellule familiale et du couple. Il s'appuie sur la juste conscience, la confiance, la bienveillance, la reconnaissance et la coopération entre l'homme et la femme, le tout dans l'humilité (on avance pas par pas) et avec détermination et enthousiasme.

Ma conviction est qu'il faut amorcer ce cheminement au sein du couple et de la cellule familiale en interrogeant la répartition des décisions et des tâches et en remettant en cause tout ce qui est implicite et tout ce qui se justifierait par des arguments du type "c'est normal qu'une femme s'occupe de".

Il faut espérer que le Grenelle des violences conjugales permettra de s'attaquer collectivement de manière extrêmement déterminée à ce fléau insupportable et trop longtemps sous investi par notre société au même titre que pour la violence faite aux enfants. Concernant les enfants, le rapport annuel des droits de l'enfant 2019 fait 22 recommandations qui doivent ébranler le côté mâle dominant :


  • "... rappeler aux professionnels placés sous leur autorité que l’usage de la force ne peut être qu’une mesure de dernier recours" (recommandation 4)
  • La lutte contre le harcèlement scolaire (et notamment le cyberharcèlement) qui est souvent du fait de mâles dominants en culottes courtes (recommandation 5)
  • Donner les moyens à la plateforme 119 les moyens nécessaires pour qu'elle puisse répondre à l'intégralité des appels ; selon la directrice de la plateforme Madame Blain, actuellement, 90% des appels sont pris mais quand l'appel est pris, dans 60% des cas, il est demandé à l'appelant de rappeler car aucun écoutant n'est disponible. Une culture du juste signalement est à développer ; un signalement qui doit être écouté et pris en compte pour que cette culture soit efficace. Le mâle dominant violent se nourrissant de l'impunité, il faut transformer notre société pour qu'il sache que ses comportements seront systématiquement repérés et punis. (recommandation 9)
  • "Chaque enfant doit pouvoir s’exprimer sur toute question intéressant son environnement quotidien, participer à son évaluation et réfléchir à son amélioration" (recommandation 13)
  • Action de lutte contre les stéréotypes (recommandation 16)
Par ailleurs, j'appelle de mes vœux que les prochaines élections municipales puissent mettre en centralité le sujet de la remise en cause du patriarcat face à l'urgence des enjeux écologiques, sociaux et démocratiques.

lundi 4 novembre 2019

Tout de trop


Sur le fronton du Temple de Delphes étaient gravés deux principes que je mentionne périodiquement dans mes articles et qui devraient guider l'humanité :

"Connais-toi toi-même" et "Rien de trop".

Dans cet article, je vais avancer que notre société fait exactement le contraire du deuxième principe : il y du trop en tout ou presque tout. Et comme illustré sur l'image, l'être humain se porte mal et fait du mal à la planète.
Dans un deuxième temps, j'en appellerai au premier principe pour nous aider à activer le deuxième.

Du trop en tout

Je présente par avance mes excuses à toutes celles et tous ceux qui se sentent démunis de tout ou de beaucoup et qui pourraient mal ressentir ce que je vais écrire. Je précise que les propos qui suivent concernant globalement la société de consommation dont on voit bien qu'elle est injuste et qu'elle laisse de côté beaucoup d'êtres humains et exploitent aussi le peu de moyens qu'ont les personnes les plus démunies.

Dans beaucoup d'articles et de modélisations que je réalise, j'ai l'impression de tirer un fil à partir d'une petite idée qui me vient, inspirée d'une lecture, d'un visionnage, d'une discussion. Il arrive aussi qu'elle débarque dans mon esprit sans forcément pouvoir l'attribuer.

La petite idée qui m'est venue en l'occurrence, inspirée de nombreuses lectures de livres et d'articles sur l'empreinte des activités humaines sur la nature, c'est que l'on consomme beaucoup trop. Je vous propose de suivre le fil comme moi je l'ai fait dans ma tête :

La société de consommation nous pousse à acheter trop de choses, tout le temps et de plus en plus, frénétiquement, avec une excitation façon feu de paille jusqu'à épuisement de toutes les parties prenantes humains et autres qu'humains..





Il y a une corrélation extrêmement forte entre le trop de choses achetées avec un trop de choses fabriquées, notamment du fait du faible taux de réutilisabilité : quand on veut acquérir une chose, on veut l'acheter neuve et si possible encore plus récente et moins chère que celle du voisin. On pourrait aussi en fonction du niveau d'utilisation, l'emprunter, la louer. Si on en a vraiment besoin très souvent, on pourrait l'acheter d'occasion voire même l'obtenir gratuitement.

Pour beaucoup de ces choses, leur fabrication nécessite trop de matières premières (minerais, combustible, eau, ...) ;  certaines sont rares (notamment pour la fabrication des dispositifs numériques) au vu des réserves et de leur niveau de ressourcement. Trop de choses fabriquées avec trop de matières premières conduisent à une SURexploitation des ressources (SUR étant synonyme de TROP).

La fabrication de ce trop de choses provoque une émission de trop de Gaz à Effets de Serre (GES) et trop de pollution. Trop par rapport à ce que la planète peut supporter. Ces trop de choses fabriqués ont nécessité la construction d'infrastructures ayant contribué à détruire trop d'écosystèmes.

Les organisations qui fabriquent recherchent à réduire les coûts de manière trop drastique - et cela est valable pour tous les maillons de la chaîne - faisant peser cette réduction de coûts sur les êtres humains (piètres conditions de travail et bas salaire). C'est là qu'il faut prendre conscience que le "trop" se conjugue de manière souvent avec un "pas assez", notamment au niveau social et en terme de qualité. L'augmentation de la quantité se fait quasiment toujours sur le dos de la qualité. La baisse de la qualité relève quelques fois d'un dommage collatéral. Mais nous voyons depuis quelques années se développer un phénomène déloyal, inacceptable et condamnable : l'obsolescence programmée : on veut nous faire acheter trop souvent le même type d'objet dont la durée de vie est volontairement, artificiellement réduite. Ce qui produit trop de déchets dont beaucoup sont en plastique, difficilement recyclables et donc avec un coût écologique de traitement trop élevé.

La réduction des coûts de production a fait externaliser la production dans les pays à bas coûts salariaux. De ce fait, les kms parcourus par les choses et par les composants participant à ces choses ont explosé. Les choses parcourent trop de kms, dont une partie à travers les océans avec des portes-conteneurs qui consomment trop d'un carburant de trop mauvaise qualité (pétrole lourd). . Il y a aussi le transport routier qui amène à avoir trop de camions sur les routes et autoroutes. Avec des impacts négatifs en matière de réchauffement climatique et de pollution de l'air pour ces deux modes de transport.

Des choses qui, par ailleurs, passent par trop d'intermédiaires. L'alternative étant bien évidemment le circuit court, l'allongement des cycles de vie (produits plus solides, de meilleure qualité, ayant plusieurs vies), avec des conditions de travail décentes pour chaque personne contribuant au cycle de vie.

Je reviens à l'achat : pour nous pousser à l'achat, nous sommes littéralement bombardés par trop d'informations (notamment sur les écrans) nous incitant à passer commande trop vite (achat impulsif) et à être livré trop rapidement (du jour au lendemain, voire dans l'heure qui suit). Mais quelques fois, c'est contre-productif : nous nous trouvons face à trop de choix pour un même produit et on peut s'en trouver paralysé. C'est l'idée que défend Barry Schwartz dans son livre "Le paradoxe du choix" (cf mon article Une fausse piste pour le bonheur : accumuler des ressources et des options).



Un terme fait référence à la quantité d'information invraisemblable à laquelle nous sommes confrontés en permanence : l'infobésité. Elle se traduit diversement avec le numérique : trop d'emails, trop de notificationstrop de SMS, trop de messages sur les réseaux sociaux, trop d'amis sur les réseaux sociaux qui en réalité n'en sont pas, trop de temps passé devant son smartphone, sa tablette, son ordinateur. Il y a aussi une amplification attendue dans les toutes prochaines années : trop d'objets connectés ; un "trop"qui va de pair avec moins d'humains connectés entre eux dans la vraie vie. Une autre explosion des usages : trop de vidéos en streaming qui fait suite et se conjugue avec un trop de photos qu'on prend pour un oui ou pour un non et qui se trouvent stockées sans qu'on l'ait demandé sur des serveurs et pour longtemps. Tous ces usages numériques qui ont une empreinte écologique trop importante et qui sont trop méconnus dans la population.

Toutes les pollutions visuelles et sonores et la sur-information ont été évoquées par Matthew Crawford dans son livre "Contact". Il introduit la problématique de l'écologie de l'attention et une idée fort pertinente : considérer l'attention comme un bien commun dont il faut que nous nous préoccupions collectivement et individuellement. J'en parle dans mon article Le temps sur la table : attention, résonance et bienveillance (1) sur laqvt.fr. En effet, l'enjeu est d'importance : nous sommes de moins en moins en capacité de nous concentrer et de plus en plus impatients. Autant de raisons qui accélèrent l'autodestruction de l'humanité.

Il n'y a pas que l'infobésité : il y a aussi l'obésité tout court. L'humanité en est arrivée à un point où la suralimentation touche plus d'êtres humains que la malnutrition. Nous mangeons trop, trop mal et trop vite. Il y a aussi trop de gaspillage alimentaire.

Et inversement, nous ne faisons pas assez d'activités physiques et nous ne dormons pas assez.

Je liste quelques autres "trop" sans aller plus loin : trop d'ondes, trop de lumière, trop de bruit, des exploitations agricoles trop grandes (et aussi des espaces trop petits pour les animaux), trop de choses à faire, trop de déforestation, des villes trop grandes, des consommations d'énergie trop élevées, trop d'injustices, trop de violences commises envers les femmes, les enfants, (notamment au sein de la cellule familiale), les hommes, les animaux, trop d'indifférence, trop d'individualisme, trop de compétition, trop de notations et de chiffres, trop de menaces à la liberté individuelle (caméras, objets connectés, compteurs communicants, ...), trop de place à l'argent et aux biens matériels, trop de dépressions, trop de burnout, ...

Et puis quelques autres "pas assez" en commençant par celui qui plante l'enjeu global de soin de nos écosystèmes humains et autres qu'humains : pas assez d'actions déterminées à la hauteur compte tenu de l'ensemble des informations à notre connaissance sur l'état de la planète et des perspectives court, moyen et long terme (cf notamment les rapports du GIEC). Et puis il n'y a pas assez de bienveillance, pas assez de confiance, pas assez de coopération, pas assez de proximité, pas assez de connexion avec la nature, pas assez de tempérance, pas assez de responsabilité, ... Dire qu'il n'y en a pas assez, signifie qu'il y en a tout de même car il ne faut pas dresser un tableau trop désespérant. Des femmes et des hommes, de tout age, agissent pour la planète, intégrant les êtres humains, nous montrent qu'on peut vivre plus simplement, plus léger et plus heureux.

Tirer le fil du "trop" risque de m'emmener à écrire un article trop long. Je vous propose de continuer à prendre conscience par vous-mêmes d'autres "trop" et de "pas assez".

Connais-toi toi-même !

Après cet état des lieux non exhaustif des "trop" dans lequel j'ai commencé de-ci, de-là, à évoquer des alternatives, j'en viens à proposer un levier important qui nous permettrait d'explorer et de pratiquer le "Rien de trop !" : il s'agit de "Connais-toi toi-même !".



Comme je l'ai évoqué dans l'article récent L'insoupçonnable et l'insoutenable, je propose d'aborder cette connaissance de soi-même - un vaste sujet - à travers deux questions à enchaîner avec une troisième question, notamment par rapport à nos envies de consommation :

  1. "En ai-je vraiment besoin ?"
  2. Si oui, "Suis-je obligé de l'acheter neuf ?"
  3. Si oui, "Puis-je me le permettre au regard des enjeux climatiques et sociaux ?"
Si on répond "oui" à la dernière question, on a tout intérêt à faire une pause avant d'acheter et se reposer la 1ère question après la pause.


La première question développe notre capacité au discernement entre les besoins vitaux et les besoins de confort dont Sébastien Bohler dit dans son livre Le bug humain qu'il s'effrite dangereusement. Peut-être qu'à la lecture de cette première question renouvelée autant de fois qu'on veut acheter (qu'on est invité à acheter) vous viendra à l'esprit la pensée "Oui, mais à ce moment-là on n'achète plus rien, on va vivre dans une cabane, une grotte, ...". Pourtant, je vous assure qu'elle est très efficace. Le site internet riendeneuf.org consacré au défi "Rien de neuf" lancé par Zero Waste France rapporte que les personnes qui ont suivi ce défi pendant un an répondent bien souvent "Non" à cet autoquestionnement de la première question.

La deuxième question relève à la fois de l'introspection ("ne serais-je pas en train de faire un caprice ou de me faire avoir par la société de consommation ?") et de la recherche d'alternatives à un achat de produit neuf.

La troisième question relève de la connaissance du monde. Pour répondre aux deuxième et troisième  questions, il faut à la fois s'informer (et pas seulement être informé) et être lucide et honnête vis-à-vis du monde et de soi-même.

L'intelligence humaine fait les progrès technologiques actuels et annoncés qui peuvent nous faire répondre de manière biaisée à la 3ème question. En effet, on nous présente des innovations technologiques qui plus ou moins objectivement ont des impacts de ralentissement, réduction de l'empreinte humaine. Je prends l'exemple de dispositifs à base de micro-algues expérimentés dans les villes pour absorber le CO2 dont on annonce qu'ils équivalent chacun à la capacité d'absorption de 50 arbres. On nous annonce par ailleurs que ce qu'on achète consomme moins : voitures, smartphones, ampoules, ... C'est beau l'esprit humain et ça peut en rassurer certains sur l'avenir de la planète. Seulement c'est sans compter l'effet rebond : ce genre d'information peut nous amener à consommer d'autant plus, et au bout du compte en consommant plus des choses qui ont des effets négatifs un peu moindre ou alors qui sont compensés par des dispositifs apparemment miraculeux sauveurs de la planète, la résultante est une augmentation globale de l'empreinte humaine. Nous éloignant d'autant plus des objectifs de réduction appelés à grands cris par les scientifiques (notamment le GIEC), par l'ONU, par un ensemble d'ONG et par une partie de la jeunesse dont Greta Thunberg est une vibrante représentante. Si on ne change pas nos habitudes de consommation, non seulement la réduction ne sera pas à la hauteur, mais il faudra peut-être s'attendre à des augmentations de l'empreinte humaine et de l'emballement climatique.

Je conseille à nouveau l'excellent MOOC "Zéro déchet" organisé par le Mouvement Colibris et par Zero Waste France qui pose particulièrement bien, non seulement la question du déchet, mais aussi quantité de sujets comme celui du contenant de ce qu'on achète, du contenu. Il a pour principe premier, en phase avec ce que je viens d'évoquer : "le meilleur déchet est celui qu'on ne produit pas" qui est à entendre dans le sens "la meilleure façon pour réduire les déchets, c'est de ne pas acheter ce dont on n'a pas vraiment besoin".

Dans ce MOOC est interpelé un point que je n'ai pas évoqué dans cet article mais qui aurait pu l'être : le trop d'emballage. Ce qui fait revoir aussi l'introspection en 3 questions qui doit être adapté pour prendre en compte les besoins vitaux que l'on peut réaliser de manière plus ou moins écologique, et donc notamment en prenant conscience des emballages alimentaires. D'une manière plus générale, il s'agit de réduire le plus possible les emballages à usage unique.

La pratique déterminée, humble et coopérative de "Connais-toi toi-même", "Rien de trop" et "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" est selon moi un enjeu pour prendre soin de la planète, de ses écosystèmes (l'être humain en faisant partie) et pour favoriser le bien-être et le bonheur. Une pratique qui doit diffuser dans nos actes quotidiens, notamment ceux liés à notre consommation.



dimanche 27 octobre 2019

Bienveillance et cellule familiale


Avec cet article, je continue à évoquer le sujet de la bienveillance auquel je m'intéresse depuis quelques années sur le champ professionnel. J'ai pris ce sujet à bras le corps depuis le début de l'année 2019 sur toutes les dimensions de la vie au-delà la sphère professionnelle. J'ai conçu une modélisation qui investit la bienveillance de la manière la plus large en intégrant celle envers soi-même, envers la nature, envers autrui et envers les communautés et collectifs auxquels on appartient.




Une manière encore plus satisfaisante pour moi qui essaye de tendre à réduire la séparation entre l'être humain et la nature, est d'intégrer la nature dans les 3 autres dimensions : moi, autrui et les collectifs et communautés. Je suis élément de la nature, autrui est humain mais aussi autre qu'humain ; et les collectifs et communautés comportent aussi des autres qu'humains. Mais j'entends bien que c'est un saut conceptuel que tout le monde n'est pas prêt à franchir bien qu'il relève de l'évolution des espèces.




Je propose dans cet article de considérer plusieurs niveaux d'imbrication en partant de la cellule familiale. Je suis convaincu que la culture de la bienveillance passe beaucoup par ce qui se passe dans la cellule familiale. J'entends ici cellule familiale comme foyer : un couple avec ou sans enfants, et éventuellement avec un ou des ascendants (donc possiblement 3 générations).

J'ai construit des schémas en adaptant le concept de "holon". Un holon est une entité qui est à la fois un tout et fait partie d'un tout. La cellule familiale est un tout (un ensemble de personnes) et fait partie d'un tout (notamment comme foyer fiscal au sein de la République Française pour une famille de nationalité française résidant en France). Je décrirai un peu plus loin en quoi chaque membre de la cellule familiale est lui-même un holon.

Pour celles et ceux qui veulent survoler l'article, le diaporama ci-dessous permet de le faire. Pour les lectrices et lecteurs qui veulent se donner le temps d'une lecture plus complète, je détaille ces schémas et je met en avant quelques enjeux et des conseils après le diaporama.



Je vais m'intéresser à la bienveillance dans la cellule familiale à travers 4 dimensions. La première étant que la cellule familiale est composée de membres.

La cellule familiale est un tout



Ses membres sont des êtres humains, mais on peut facilement intégrer la dimension de nature en considérant les animaux domestiques vivants dans la cellule familiale. A noter en passant que le statut juridique d'un animal domestique est "bien meuble" et aussi par ailleurs "être vivant doué de sensibilité" (ce qui n'est pas le cas des animaux sauvages dans la loi). La loi punit contre la malveillance (atteintes commises à l'encontre de l'animal ou abandon).

On peut poser le principe suivant : la cellule familiale doit collectivement prendre soin de ses membres. La loi impose aux parents de prendre soin des enfants et aux conjoints de se devoir mutuellement respect, fidélité, secours et assistance.

Ce que ne dit pas la loi et qui me semble un point central d'éducation de la bienveillance, c'est qu'on peut attendre aussi que les enfants mineurs prennent soin de leurs parents et de leurs grands-parents quand ces derniers contribuent à l'éducation. Je constate régulièrement autour de moi en quoi ce n'est absolument pas le cas et que des parents et grand-parents subissent impuissants des comportements d'enfants qui, non seulement ne sont pas dans la bienveillance, mais ont des paroles et des actes manquant considérablement de respect. Je parle ici de respect dû à un autre être humain et non d'un respect qui serait dû à une personne adulte du fait de l'autorité parentale. Ce que je veux dire, c'est que ce constat n'est pas dicté par une forme de nostalgie d'un temps plus ancien où les enfants étaient au garde-à-vous devant leurs aînés. Il me semble que nous avons vécu une forme de mouvement pendulaire en quelques dizaines d'années qui nous a fait passer d'un excès d'autorité (voire de l'autoritarisme) à un règne de l'enfant capricieux roi. L'enjeu de bienveillance et de bon sens est de trouver un juste milieu où chacun est respecté et considéré, avec évidemment un niveau d'asymétrie où les parents portent le rôle de nourrir, de protéger, d'éduquer leurs enfants. Mais l'éducation doit aussi intégrer selon moi l'apprentissage de la bienveillance de l'enfant envers lui-même, envers ses frères et sœurs, envers ses parents et grands-parents, envers les animaux domestiques du foyer et de tout être humain et autre qu'humain. Une bienveillance aussi vis-à-vis de la cellule familiale, c'est à dire des actions de contribution à la vie de la cellule familiale, et notamment quand il devient suffisamment maître de ses gestes, des actions pour participer à des tâches d'intérêt général. La bienveillance concerne aussi le mode de pensée, les paroles et les gestes d'altruisme.
Il s'agit aussi de prendre soin, d'être attentif à l'état de fatigue de chacun des membres. L'enfant peut y être invité. Par exemple par une mamie ou un papy qui dit à son petit-fils : "Maintenant, tu vas jouer un peu seul parce ce que j'ai besoin de me reposer. Tu sais, je n'ai plus la force et l'énergie de tes parents.".

Il y a aussi la bienveillance entre les adultes dans la cellule familiale. L'accélération des rythmes n'y est pas propice : moins de temps pour prendre soin les uns des autres et puis avec le stress, on se parle mal, on se rabroue, on ne se parle plus, on se dispute, on veut avoir le dernier mot, on joue à celui qui fera le plus plaisir aux enfants, ... On pratique le proverbe "qui aime bien châtie bien" dans le sens "qui aime bien châtie". On se permet de se lâcher avec son conjoint comme on ne se permettrait pas de le faire à l'extérieur alors qu'une vision bienveillante du couple voudrait au contraire qu'on traite encore mieux son conjoint que des personnes externes au couple puisqu'il nous est précieux. Les carences en matière de bienveillance vont de l'absence de bienveillance (dont l'indifférence) jusqu'à la malveillance dans les paroles et/ou à travers de la violence physique. Ce qui est insupportable, intolérable et malheureusement trop fréquent au sein des couples. 200 000 à 547 000 personnes (selon les chiffres) sont victimes de violences conjugales par an en France, très majoritairement des femmes. Aux Etats-Unis, 36% des femmes ont été victimes au moins une fois dans leur vie d'un viol, de la violence physique ou du harcèlement par leur partenaire. Une violence dont les enfants ont pu être témoins.

Il y a aussi la maltraitance des enfants : L'OMS estime qu'1 milliard d’enfants de 2 à 17 ans dans le monde ont subi des violences physiques, sexuelles, émotionnelles ou des négligences au cours de l’année écoulée.
La bienveillance relève à la fois d'actions pour faire du bien et à la fois de la réduction et de la suppression d'actions malveillantes et maltraitantes dans les paroles et dans les gestes. Il s'agit aussi d'être attentif à ce qui se joue en la matière entre les enfants et en particulier entre les plus âgés et les plus jeunes, entre les plus forts et les plus faibles, entre les garçons et les filles. Il y a aussi l'attention à porter dans les relations entre les enfants et les animaux domestiques. L'attention est une chose, l'éducation à des comportements bienveillants en est une autre comme je l'ai indiqué précédemment.

La cellule familiale doit reconnaître la singularité de chacun de ses membres et mettre en valeur chacun.

Il y a aussi la responsabilité commune de s'assurer que tout le poids de l'entretien de la cellule familiale ne soit pas portée par une seule personne ; il s'agit culturellement souvent de la mère qui cumule souvent de nos jours 3 missions : une vie professionnelle, l'éducation des enfants et les tâches domestiques (courses, cuisine, ménage). Cumul parce que le conjoint sous-contribue ou parce que la cellule familiale est monoparentale.

S'il devrait être de la responsabilité de la cellule familiale et de chacun de ses membres de s'assurer que la répartition des tâches est équilibrée, c'est aussi une responsabilité de la société de promouvoir un tel équilibre. Mon article constituant une modeste contribution de ma part. J'ai moi-même été éduqué à contribuer très jeune par mes parents et je n'en ai retiré que des bienfaits pour ma construction. Je suis convaincu que c'est cette forme d'éducation de la bienveillance qui m'a permis de ne pas me réfugier derrière le statut de mâle quand j'ai commencé ma vie de couple ; j'ai ainsi pu contribuer pleinement et naturellement à ma cellule familiale en tant que mari et beau-père.

Passons à la deuxième dimension qui fait de la cellule familiale partie d'un ou plusieurs tout.

La cellule familiale fait partie de sur-ensembles



Une cellule familiale telle que je l'ai définie fait partie d'ensembles plus vastes. Notamment, deux sur-ensembles familiaux : la famille du père et la famille de la mère avec les grands-parents de chaque côté, les tantes, oncles, cousines, cousins. Des sur-ensembles qui sont peut-être virtuels, couchés sur un papier donnant l'arbre généalogique des deux familles, ou alors bien vivants avec des moments de rassemblement de tout ou partie de la famille et une vie collective qui s'organise par exemple pendant les vacances d'été, Noël, ...
C'est à la fois la cellule familiale qui a son identité propre dans le sur-ensemble plus vaste et chaque membre de la cellule familiale qui joue son propre rôle dans le sur-ensemble.

La cellule familiale a un sentiment d'appartenance par rapport à la famille plus vaste, elle la constitue et aussi elle peut contribuer. Par exemple pour des vacances passées ensemble, chaque cellule familiale va apporter sa contribution financière.

La bienveillance par rapport au sur-ensemble familial conjugue plusieurs aspects :

  • la solidarité par rapport aux autres cellules familiales, notamment si une est en difficulté (tensions familiales, séparation, divorce, problèmes financiers, problème de santé d'un des membres, décès, ...)
  • une contribution juste lors des rassemblements, à la fois en terme financier et en terme d'énergie apportée
  • une attention et un respect portés aux membres qui se traduit dans les paroles et dans les actes

En me situant dans un environnement français, la cellule familiale fait partie aussi de la République française. Elle est un foyer fiscal qui contribue financièrement plus ou moins à la République à travers des impôts directs et indirects.
Sa bienveillance se manifeste aussi par son esprit civique, par l'application des valeurs de la République Liberté - Egalité - Fraternité, en cadrant la dimension "liberté" par le principe "La liberté des uns s'arrête là où commence celle des autres". Selon moi, c'est un principe fondamental de bienveillance ; un principe bien connu mais qui me semble de moins en moins pratiqué.

Puisque je suis sur le sujet de la liberté, cela m'offre une transition avec la troisième dimension : la cellule familiale a sa propre autonomie et veut être reconnue en tant que telle.

La cellule familiale est autonome




En quelque sorte, la cellule familiale prend soin d'elle-même en tant qu'entité qui est unique et veut être reconnue et considérée pour sa singularité. Elle veut s'autodéterminer et s'auto-organiser mais cela dans la cadre de la loi. Cela nous fait revenir à la notion de liberté qui s'exprime dans un cadre.

La cellule familiale définit ses propres règles. Culturellement, ce sont les adultes qui le font et, dans un système patriarcal encore bien présent qu'il s'agit de déconstruire, c'est souvent l'homme qui impose son point de vue.

La culture de la bienveillance au sein d'une cellule familiale doit travailler à gommer l'aspect patriarcal pour viser la parité. Une parité qui est non seulement à rechercher du fait du genre mais aussi du rapport de force qui s'est établi entre les deux personnes du couple indépendamment du genre, du fait de la personnalité de chacun.
Il y a aussi la place donnée à la parole, à l'intelligence, aux besoin et à l'envie des enfants de contribuer à l'établissement des règles. Comme je l'ai évoqué précédemment, il ne faut pas tomber dans l'excès inverse faisant des enfants les rois. Il faut que progressivement au fur et à mesure que les enfants grandissent, qu'ils soient amenés à contribuer aux décisions et aux tâches. Le rôle de la cellule familiale, aidée par l'éducation à l'école, est d'en faire des êtres responsables en capacité d'affirmation de soi bienveillante. C'est le rôle des parents, mais aussi des grands parents s'ils sont présents et des frères et sœurs plus âgés. J'entends quelques fois des grands-parents se dédouaner de la dimension éducative en prétextant qu'ils veulent cantonner leur rôle à celui de faire plaisir à leurs petits-enfants. Ce qui conduit bien souvent à en faire rapidement des grands-parents chicouf ("chic, les petits-enfants arrivent" puis "ouf, ils sont partis") ; quelques fois, ils sont complètement dépassés par les événements et menés par le bout du nez par des petits-enfants les bousculant par la parole voire par les gestes. Se limiter au plaisir et aux désirs insatiables des enfants relève selon moi du perdant-perdant : cela ne prépare pas les enfants à la vie, notamment à l'apprentissage de la frustration ; d'autre part, les grands-parents se compliquent eux-mêmes leur vie. Ce que je dis là est bien évidemment aussi un enjeu pour les parents.

Au contraire, la bienveillance, qui n'est pas à confondre ni avec une gentillesse passive, ni avec la complaisance, comporte une forme d'exigence vis-à-vis de l'enfant. Elle l'appelle à la responsabilité, à regarder au-delà de son nombril et de l'appétit de son striatum (cf mon article L'insoupçonnable et l'insoutenable), à savoir du plaisir immédiatement, de plus en plus et de plus en plus souvent. La bienveillance appelle à bien distinguer deux notions : "faire plaisir" et "faire du bien". La bienveillance consiste à faire du bien et quand c'est possible, en faisant plaisir. Il s'agit aussi d'apprendre à l'enfant à prendre plaisir à ce qu'il fait et non pas attendre ou désirer des activités supposées lui apporter du plaisir.

Quand les adultes en charge de l'éducation dans la cellule familiale ne sont pas en ligne sur la motivation première ("faire du bien" ou "faire plaisir") cela crée inévitablement des tensions et des déséquilibres dans la cellule familiale et des opportunités pour les enfants de louvoyer pour obtenir la réalisation de leurs désirs. Tout le monde y perd, y compris pour le·s parent·s adoptant le mode "faire plaisir" qui peuvent obtenir la préférence des enfants, mais pas forcément plus d'affection et certainement ils s'en retrouvent moins considérés et respectés. A contrario, adopter la bienveillance dans l'éducation est une approche gagnant-gagnant ; tout le monde y gagne : les enfants à court, moyen et long terme (y compris quand ils deviendront parents eux-mêmes), les parents et la solidité et la durabilité de la cellule familiale.

Si la cellule familiale recherche l'autonomie, qu'elle fait partie de sur-ensembles, elle vit aussi en interaction avec autrui, que ce soient d'autres cellules familiales ou d'autres individus.

La cellule familiale est en interaction avec autrui



La bienveillance dans la relation à autrui permet de vivre en bon voisinage, et de jouer la fraternité et la solidarité.
J'ai intégré les animaux domestiques en tant que membres de la cellule familiale. Dans le même esprit, autrui est à entendre ici comme humain ou autre qu'humain. Il s'agit donc aussi des autres animaux domestiques, des animaux sauvages et de manière plus large des ressources de la planète.
Il est important de noter à cette étape un aspect capital de la bienveillance : la bienveillance n'est pas binaire : bienveillant ou malveillant. Chacun met la barre plus ou moins haut. C'est particulièrement facile à expliquer dans le rapport aux animaux, et notamment en ce qu'ils peuvent entrer dans notre alimentation :

  • pour certains, manger de la viande n'est pas malveillant ; mais par contre, ils veulent traiter bien et avec affection les animaux domestiques et veulent que les animaux d'élevage bénéficient de conditions décentes d'élevage, de transport et d'abattage
  • d'autres ne sont pas prêts à ne plus manger de viande mais conçoivent bien que ce n'est pas bienveillant de le faire ; par contre, ils veulent bien baisser leur consommation ; ce qui met en évidence l'écart qui peut exister entre les intentions et les actes, et entre les paroles et les actes
  • d'autres encore considèrent que la bienveillance par rapport aux animaux impose de ne pas manger de viande ; entre en jeu alors pour cette conception la position que l'on peut tenir vis-à-vis d'autrui : exiger que tout le monde adhère à cette conception (éventuellement par des mesures d'imposition violente), essayer de convaincre, agir pour soi-même, ...
Voici ce que donne le schéma global avec ces 4 dimensions :



La Réciprocité

J'ai un peu évoqué la question de la réciprocité en filigrane dans les parties précédentes. 
Je vais la développer plus précisément car elle est capitale selon moi pour que la bienveillance soit généralisée et pleine au sein la cellule familiale, en interaction avec l'extérieur.




Avant de préciser les différents lieux de réciprocité, commençons par distinguer plusieurs formes de réciprocité :
  • la réciprocité "contractuelle" : par exemple, l'Etat doit soutenir la cellule familiale, notamment financièrement
  • la réciprocité "culturelle" :  par exemple, par obligation familiale, la cellule familiale ayant des soucis financiers est aidée par le reste de la famille
  • la réciprocité "spontanée" : par exemple, sans que la cellule familiale en ait fait la demande, une famille amie lui prête un groupe électrogène face à une coupure de courant qui commence à durer 
  • l'appel à la réciprocité ; il s'agit pour la cellule familiale de demander un juste retour de bienveillance à sa propre bienveillance ou d'appeler avec force à la bienveillance si on est malveillante avec elle ; par exemple, la cellule familiale particulièrement active dans la vie de la commune demande une aide à la commune face à une inondation intervenue au domicile
Je précise maintenant les 3 lieux de réciprocité :
  • la réciprocité venant du haut : la cellule familiale attend que les familles d'appartenance la respectent et fassent preuve de solidarité familiale le cas échéant. Concernant l'appartenance à la République française, elle attend la solidarité nationale en cas de problème et de pouvoir bénéficier de toutes les aides et soutiens auxquels elle a droit pour subvenir à ses besoins vitaux, à travers notamment les politiques familiales ; elle bénéficie aussi de l'éducation prodiguée par l'Education nationale qui mérite d'être réalisée en bonne alliance avec l'éducation donnée au sein de la cellule familiale ; il ne s'agit donc plus ici seulement de réciprocité mais aussi de coopération
  • la réciprocité venant du bas : la cellule familiale prend soin de ses membres (collectivement et à travers le comportement individuel de ses membres) ; il faut aussi que ses membres contribuent à la vie et à la bonne santé de la cellule. Elle attend que les membres aient un sentiment d'appartenance (sentiment que la cellule cultive de son côté), qu'ils fassent corps, qu'ils la protègent, qu'ils aient "l'esprit de famille" et qu'ils contribuent activement selon l'âge des membres, leurs capacités et leur disponibilité. Je rappelle ce que j'évoquais précédemment : il faut une juste répartition des tâches pour éviter la situation où la cellule tient par l'énergie d'un seul de ses membres.
  • la réciprocité venant d'autrui : la cellule familiale ayant des relations bienveillantes avec autrui attend qu'autrui soit aussi bienveillant avec elle. Elle attend fraternité et solidarité en cas de besoin.
Nous venons donc de voir longuement la cellule familiale. Intéressons-nous maintenant plus brièvement au niveau inférieur : l'individu, membre de la cellule familiale. 


Le membre de la cellule familiale

Le membre de la cellule familiale peut être considéré lui-aussi comme un holon et donc à travers les 4 mêmes dimensions que la cellule familiale.

On a donc les 4 dimensions que je ne vais pas lister dans le même ordre. Je commence par le lien qui raccorde l'individu avec le niveau supérieur que je viens de traiter, à savoir la cellule familiale :
  • l'individu appartient à la cellule familiale. Il la constitue en partie et contribue à sa bonne santé. Je ne répète pas ce que j'ai déjà expliqué pour la cellule familiale en tant qu'ensemble de membres desquels la cellule familiale attend une bienveillance réciproque
  • si l'individu appartient à la cellule familiale, il ne s'y confond pas. Il a sa propre identité, sa singularité, ses propres aspirations qui vont au-delà de la cellule familiale. Il s'affirme et a besoin d'autonomie. Autant d'aspects que les enfants acquièrent au fur et à mesure qu'ils grandissent et la cellule familiale a un grand rôle pour aider à un bon développement physique, psychique et social, en coopération avec l'Education nationale. Si l'individu doit être bienveillant avec ce qui n'est pas lui, il doit être bienveillant aussi avec lui-même et notamment pour une juste confiance en soi, estime de soi et affirmation de soi. Il ne doit pas s'oublier, oublier ses propres aspirations. C'est un juste équilibre à trouver pour éviter les deux extrêmes : l'oubli de soi et l'égocentrisme/égoïsme. Ne pas s'oublier appelle à une autre dimension qui n'est pas souvent présentée comme je vais maintenant le faire :
  • l'individu est aussi un tout : il est constitué d'organes, constitués eux-mêmes de tissus, et on peut descendre la chaîne successivement à la cellule, puis à la molécule puis à l'atome. Etre bienveillant pour cette dimension consiste à prendre soin de son corps, des différents organes, leur faciliter la vie. C'est notamment prendre soin par une alimentation saine, un sommeil suffisant et réparateur, une activité physique suffisante ; c'est aussi de ménager et assurer une bonne santé physique et psychique. Il faut connaître ses limites et ne pas trop tirer sur la corde. (Je renvoie à mon article Enjeu de recharger les batteries). Il est important de se connaître et de s'intéresser à ce que la recherche a pu nous apporter comme connaissance sur la biologie humaine pour prendre soin de notre santé de manière holistique (holistique et holon ont la même racine), à savoir dans sa globalité. Une globalité qui prend en compte le corps avec la frontière qui le sépare de son environnement. En effet, il ne faut pas s'arrêter à nos organes mais prendre en considération le microbiote (ensemble appelé aussi "flore" de micro-organismes qui nous colonisent - essentiellement des bactéries et qui cohabitent avec nous) qui est en nous (estomac, colon, poumons, parties génitales, bouche, oreilles) et sur nous (peau), en participant notamment aux fonctions digestives et à la protection face aux microbes pathogènes. Nous nous exclamons de la beauté de la nature et de son intelligence coopérative en voyant dans un documentaire un rémora (poisson) fixé par une ventouse sur la peau d'un requin pour le débarrasser de ses parasites. Notre microbiote agit en mutualisme ou symbiose avec nous de manière similaire. Ceci doit nous rappeler une idée centrale : nous sommes des êtres vivants au même titre que les autres vivants de la planète, avec un cortex plus développé, soit, mais nous sommes autant la nature que n'importe quel autre vivant et c'est un non sens de séparer l'être humain et la nature puisque l'un constitue l'autre, parmi beaucoup d'autres. Ce qui m'amène à dire que la culture de la bienveillance va avec celle de l'humilité, de la lucidité et de la coopération.
  • l'individu est en interaction avec d'autres êtres humains et autres qu'humain. Puisque mon propos initial était de m'intéresser à la cellule familiale, commençons par les êtres qui composent la cellule familiale : le membre de la cellule familiale se doit d'être bienveillant avec chaque membre de la cellule familiale, qu'il soit humain ou animal domestique. La responsabilité du membre de la cellule est donc à deux niveaux : une responsabilité vis-à-vis de la cellule (1ère dimension présentée dans cette liste) et la responsabilité envers chacun des autres membres. Bien évidemment on attend naturellement que la bienveillance soit du ressort des parents, avec une asymétrie qu'il ne s'agit pas de remettre en cause. Cependant, et je l'ai évoqué précédemment dans l'article, je suis convaincu de l'importance d'apporter dans l'éducation des enfants l'apprentissage de la bienveillance envers les autres membres de la cellule familiale et au-delà de la cellule. C'est notamment le cas pour les garçons pour lesquels on peut avoir tendance à trop insister dans l'éducation sur les capacités qu'ils doivent développer pour se défendre, ne pas se laisser faire, rendre coup pour coup, faire face à un monde de coups bas qui ne ferait pas de cadeaux, ... La bienveillance va aussi en direction de ce qui nous entoure et de la préservation des ressources de la planète.

La réciprocité de la bienveillance au niveau de l'individu

J'ai expliqué précédemment pour la cellule familiale que la bienveillance devait être vue de manière réciproque. C'est aussi le cas pour l'individu.


J'ajoute aux types de réciprocité évoqués pour la cellule familiale (contractuelle, culturelle, spontanée et appel à la bienveillance) un cinquième type : la réciprocité originelle. Une réciprocité qui joue en particulier pour la bienveillance par rapport au corps. En réalité, la bienveillance envers le corps peut être considérée comme un "juste retour des choses" de l'individu par rapport à la bienveillance orchestrée en notre faveur par la merveille d'horlogerie qui nous constitue, aidée, comme je l'ai dit précédemment, du microbiote sans lequel nous serions bien mal en point. Il nous faut lui faciliter la vie. Il nous faut le ménager. En ce sens, je renvoie à une citation anglaise particulièrement parlante et puissante :

"Take care of your body. It's the only place you have to live
Jim Rohm 

Et si on a du mal à considérer son propre corps comme partie intégrante de la nature, on peut au moins le voir comme notre maison qui nous abrite, qu'on apprécie particulièrement, qu'on entretient et qu'on chouchoute pour s'y sentir bien.

Cette réciprocité originelle mérite aussi d'être vue du côté du rapport à autrui en tant que ressource de la planète : depuis le début de l'humanité, les ressources de la planète nous offrent gite, chauffage, outils, nourriture, eau, ...et quantité de choses pour assurer nos besoins vitaux et notre confort. 

C'est notre devoir de réciprocité de bienveillance que d'en prendre soin, de les apprécier, de les préserver, d'assurer leur reconstitution, de les bichonner et non au contraire de les exploiter outrageusement. Les exploiter de la sorte peut être vue en quelque sorte comme l'ingratitude la plus totale. Il nous faut absolument discriminer ce qui relève de nos besoins vitaux et de notre confort, et limiter autant qu'il est nécessaire pour la préservation et le renouvellement des ressources, et en premier lieu pour nos besoins de confort dont on pourrait largement se passer (en réalité, pour certains besoins de confort, les consommateurs ne les ont pas demandés et ce sont les entreprises qui les ont créés puis poussés via la publicité).



Enseignements autour du ET

Je termine ce long article sur la bienveillance et la cellule familiale par l'éclairage de la tendance de l'être humain à opposer des idées comme il fait aussi pour des principes ou des valeurs . Au contraire, je lance une invitation à les conjuguer. En voici quelques-unes :
  • être bienveillant avec sa cellule familiale ET bienveillant avec autrui ET bienveillant avec soi-même ET inviter à la réciprocité les autres membres de sa cellule familiale ET, plus généralement autrui.
  • quand on cherche à faire plaisir, essayer de l'associer avec le sens  ; "plaisir ET sens" synthétise l'idée du bonheur d'après Tal Ben Shahar, un des fondateurs de la psychologie positive. Faire du bien peut se pratiquer en alliant plaisir et sens, en notant que ce n'est pas toujours possible et qu'il ne faut pas faire passer le plaisir à tout prix
  • l'être humain a besoin d'un double sentiment de reconnaissance : une reconnaissance d'appartenance ET une reconnaissance de distinction (chacun est unique, avec ses talents, forces, ... et veut être reconnu pour cela, y compris dans les situations où il se fond dans un collectif ou une communauté)
  • il faut rendre indissociable liberté ET responsabilité
  • de la même façon, l'autonomie et le sentiment d'autonomie méritent d'être cultivés en conjonction avec la conscience et le sentiment d'interdépendance qui conduisent à la gratitude ; cultivée seule, l'autonomie conduit au sentiment artificiel de surpuissance et d'invulnérabilité tout en déconsidérant et dévalorisant ce qui en réalité au-delà de lui-même contribue à sa vie.
Tirer les fils de la bienveillance peut nous mener très loin et je suis convaincu qu'il est nécessaire de le faire pour réinstaurer une symbiose entre les êtres humains et les autres parties prenantes de la planète. C'est aussi un enjeu pour la paix dans nos sociétés, dans nos cellules familiales, dans nos relations interpersonnelles et pour notre paix intérieure.