Cet article présente mon argumentation à propos de l'idée que j'ai exprimée pour la première fois par écrit dans le livre "Le cri du corps" d'Anne-Véronique Herter. Livre pour lequel j'ai apporté une contribution en tant qu'expert sur la Qualité de Vie au Travail et sur les risques psychosociaux. Cette idée est de changer l'ordre de ces 3 valeurs : Fraternité-Egalité-Liberté.
Je vais reprendre l'argumentation exposée dans le livre puis ajouter d'autres éléments.
Dans "Le cri du corps", j'ai listé 18 causes de souffrances au travail. La 14ème est liée au phénomène dit de "halo" (pages 259 et 260). Daniel Kahneman, spécialiste de la psychologie cognitive et d’économie comportementale, Prix Nobel d’Economie en 2002, en donne un exemple dans son livre « Système 1 Système 2 » dont je me suis inspiré pour l'illustration suivante :
Voici quelques caractéristiques de deux managers. Le manager A est performant, rigoureux, fiable, exigeant, rugueux. Le manager B est rugueux, exigeant, rigoureux, performant et fiable.
Dites, entre nous, vous préféreriez travailler avec lequel ?
En réalité A et B sont une seule et même personne. la première liste étant formulée par la direction et la deuxième par son équipe.
L’ordre dans lequel les caractéristiques sont listées est primordial : ce que l’on retient en lisant une liste, c'est avant tout le premier mot, puis dans une moindre mesure le deuxième.
Plus généralement, l’effet de halo fait qu’on juge une personne à partir de son trait le plus marquant, ou à partir du premier trait qu’on a été amené à observer. Le proverbe "L'habit ne fait pas le moine" vise à la vigilance par rapport à cette forme de halo.
Revenons à notre manager et ses caractéristiques telles qu'énoncées dans la première liste. L'effet de halo fait qu’un manager décrit par une direction comme performant et rugueux, est avant tout un manager ... performant, le deuxième trait étant très secondaire. Un manager décrit comme performant et odieux est avant tout un manager ... performant ; le fait qu'il soit odieux pouvant être considéré comme producteur de possibles dégâts collatéraux minimes et inévitables, consacrant de fait deux principes bien connus "on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs" et "la fin justifie les moyens".
Le phénomène de halo peut aussi conduire au déni, à l'aveuglement et/ou à la surdité : le refus de considérer les caractéristiques et les signaux de comportements pouvant être jugés objectivement comme inacceptables.
J'ai terminé mon argumentation sur le phénomène de halo par une parenthèse sur "Liberté-Egalité-Fraternité" : la proposition d'imaginer un monde où la liberté d’entreprendre et de gagner de l’argent viendrait après le devoir de fraternité ! Ça laisserait moins la place aux deux principes évoqués précédemment.
Je complète maintenant mon argumentation en commençant par envisager les conditions de bonne pratique de la valeur "Liberté". Par "bonne pratique", j'entends une pratique qui fait exercer la liberté dans une logique gagnant-gagnant et de triple connexion : entre soi et soi, entre soi et autrui et entre soi et la planète. Un principe connu exprime assez bien la bonne pratique de la liberté : "La liberté des uns s'arrête là où comme celle des autres". En quelque sorte, on peut considérer que la bonne pratique de la liberté est cadrée par la fraternité. Je préfère dire que la liberté s'appuie sur la fraternité. Je constate que ce principe est largement bafoué dans notre société, surtout quand il s'agit de gagner de l'argent, voire et surtout : le plus d'argent possible en un minimum de temps.
Passons à l'égalité : selon moi, la pratique de l'égalité est conditionnée par la pratique de la fraternité. Si tel n'est pas le cas, elle ne sera qu'affichage ou se fera dans une comparaison comptable où chacun risque de vouloir tirer la couverture à soi en se survalorisant et en sous-valorisant autrui, ou inversement selon le sens de l'égalité que l'on recherche :
- premier sens : j'ai plus d'inconvénients, de faiblesses, ... que toi (on survalorise ses propres inconvénients et/ou on sous-valorise les inconvénients d'autrui)
- deuxième sens : j'ai moins d'avantages, de forces, ... que toi (on sous-valorise ses propres avantages et/ou on survalorise les avantages d'autrui)
Cela peut même passer par une comparaison biaisée où l'on va comparer ses inconvénients par rapport aux avantages des autres ... et forcément, on en arrive à la conclusion qu'on est plus mal loti que les autres !
La liberté est la valeur cardinale du libéralisme et du mondialisme qui ont conduit notre société et notre planète dans un état de déconnexion des individus par rapport aux trois dimensions évoquées précédemment (soi, autrui, planète) en une spirale descendante et possiblement vertigineuse si on veut ouvrir les yeux et prendre pleinement conscience des dégâts sur l'environnement.
Je suis convaincu que la fraternité mérite d'être la valeur sacrée au-dessus de toutes les autres, notamment au-dessus de celle de la liberté dont je ne remets pas cependant en cause la pertinence.
Si le phénomène de halo n'existait pas, on pourrait considérer les 3 valeurs de la République comme indissociables et l'ordre dans lequel on les énonce importerait peu.
Mais puisqu'il est très difficile pour l'être humain de faire abstraction du phénomène de halo et puisque selon moi la priorité du moment (et pour un bon moment) est de rééquilibrer dans le sens de la fraternité, j'en suis donc arrivé à ma proposition d'inverser l'ordre de la liste des valeurs : Fraternité - Egalité - Liberté. Une inversion évidemment pas que dans l'affichage mais dans la déclinaison à tous les niveaux de strates de le société, et notamment dans le monde du travail.
Un autre sujet serait de voir en quoi notre hymne national illustre bien la fraternité, mais je le garde pour plus tard, car j'imagine que celui du jour peut être déjà urticant ou dérangeant pour certaines personnes, notamment celles pour qui la liberté est en valeur première, quelles qu'en soient les raisons et la construction du rapport à la liberté.
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