dimanche 17 novembre 2019

Moi, homme masculin


Article révisé le 18/11/2019 suite à la publication du Rapport annuel des droits de l'enfant 2019

Dans mon article Le papillon, la serre et le permafrost (ou pergélisol) de septembre 2019, j'ai évoqué l'apparition simultanée il y a entre 5 000 et 10 000 ans du patriarcat, de l'agriculture et de la propriété.

Depuis le début de l'ère industrielle, les activités humaines sur la planète laissent des traces indélébiles qui non seulement tuent la biodiversité et les êtres vivants, mais aussi menacent sérieusement la vie des générations à venir, et l'avenir des plus jeunes générations.

Par cet article, je démarre une série visant à mettre en évidence les conséquences désastreuses du patriarcat sur les humains et sur la planète. Une série d'articles qui interpelle les hommes masculins et leur masculinité, et les femmes non encore engagées sur des enjeux féministes ; en effet, elles peuvent apporter leur contribution à déboulonner les modèles "masculin" et "féminin" imposés par les hommes masculins depuis des générations et confortés par les différentes religions depuis leur origine.

L'homme masculin considère dans la plupart de ses sphères de vie qu'il a des droits. Autant de droits qui, quand ils sont considérés de manière trop étroite et égocentrée, conduisent à la domination voire l'exploitation de l'homme sur la femme, de l'adulte sur l'enfant, du dirigeant d'entreprise sur le salarié, de l'élu sur le citoyen, de l'humain sur la nature.

Le reproche qui a été fait par le mouvement des gilets jaunes envers la domination et la déconnexion des élites politiques mérite d'être aussi fait dans d'autres sphères y compris dans la sphère familiale.

Je vous propose le tableau ci-dessous qui remet en cause l'homme masculin dominant la domination de l'être humain sur le reste du vivant. Cela touche 3 dimensions :

  • une dimension sociale et humaniste
  • une dimension écologique
  • une dimension démocratique

Ce tableau part de l'idée "J'ai le droit" ou "Je me considère avoir le droit" ou "Je suis dans mon bon droit quand ..." déclinée dans plusieurs contextes de vie.

Ai-je le droit ...
Réponse toute faite
mais mal faite
En intégrant humilité, parité coopération et gagnant-gagnant
Ai-je le droit de décider seul pour ma conjointe ?
C’est moi l’homme qui décide et qui la protège
Ma conjointe a son libre arbitre. Elle peut compter sur moi si elle a besoin de moi et de mon avis
Ai-je le droit de décider seul pour mon couple ?
C’est moi l’homme
Nous prenons les décisions ensemble. Ma voix ni ma voie ne comptent plus que les siennes
Ai-je le droit de décider d’entamer, voire de forcer un rapport sexuel avec ma femme si elle n’y consent pas ?
C’est le devoir conjugal qui s’applique. Tout le monde sait qu’un Non cache souvent un Oui. Ca fait partie du jeu de la séduction
Forcer un rapport sexuel au sein d’un couple relève du viol depuis 2006. Tout rapport sexuel au sein d’un couple doit être mutuellement consenti et le refus de l’un des deux membres du couple doit être respecté par l’autre.
Ai-je le droit de décider seul pour mon foyer ?
Je suis le chef de famille
La notion de chef de famille n’existe plus. Les deux parents sont coresponsables. On peut demander leur avis aux enfants, voire les faire participer aux décisions en fonction de leur âge et du type de décision
Moi, Président, ai-je le droit de décider seul pour mon association ?
C’est le mandat que j’ai reçu, je suis légitime
Je n’ai pas à imposer mon avis sous prétexte que je suis Président et/ou du fait que je suis particulièrement actif.
Je dois limiter au maximum mes privilèges et me considérer à la même hauteur que chacun·e dans l’association même si on me donne du “Mr le Président”
Moi Président de la République, ai-je le droit de décider seul pour la population française ?
C’est le mandat que j’ai reçu, je suis légitime
Je dois être connecté avec la réalité des citoyens, les consulter, les appeler à contribuer, ne pas décider à mon niveau ce qui pourrait se décider à un niveau local.
Je dois être connecté aussi avec les autres peuples, avec la planète et contribuer à sa préservation pour les générations futures.
Je dois limiter au maximum mes privilèges et me considérer à la même hauteur que chaque citoyen même si on me donne à tout bout de champ du “Mr le Président” et si je vis sous les dorures des palais
Moi dirigeant ai-je le droit de décider seul pour mon entreprise ?
C’est mon entreprise
Les personnes qui travaillent avec moi ne sont pas des “ressources”humaines mais des “richesses” humaines dont je suis proche. J’ai confiance en elles et en l’intelligence collective qui m’évite de décider seul dans ma tour d’ivoire. Sans les personnes qui travaillent avec moi, je ne suis rien et mon entreprise n’est rien. Sans les fournisseurs, sans les clients, sans la planète, je ne suis rien et mon entreprise n’est rien
Moi chef ai-je le droit de décider seul pour mon équipe ?
C’est mon équipe et c’est moi qui décide
En réalité, soyons humble, c’est plutôt au-dessus de moi que ça se décide et ça doit être remis en cause.
Nous constituons une équipe et je me considère l’animateur, le coach de l’équipe. Je respecte chaque membre de mon équipe et chacun apporte une contribution précieuse.
Moi Maire, ai-je le droit de décider seul pour ma commune ?
C’est le mandat que j’ai reçu, je suis légitime
Je n’ai pas la science infuse et nous devons prendre au sein de la commune des décisions qui protègent les individus, la planète et les générations futures
Je me considère comme un animateur et un médiateur, au même titre que les autres élus
Je dois limiter au maximum mes privilèges et me considérer à la même hauteur que chacun·e dans la commune même si on me donne du “Mr le Maire”
Moi, humain, ai-je le droit de décider seul pour MES animaux domestiques ?
Ce sont mes animaux. Dans la loi, il est écrit qu’ils font partie de mes biens meubles.
Dès lors qu’ils me procurent plus de gêne que de satisfaction, que je m’en lasse, je m’en débarrasse
Depuis janvier 2015 l’animal n’est plus considéré comme un bien meuble mais comme “un être vivant doué de sensibilité”
Plutôt que de parler de mes droits par rapport à mes animaux, je me concentre sur ses droits à lui : nourriture, eau, abri, évacuation de ses excréments, … et affection
Ils font partie de la famille et nous les respectons.
Moi, humain, ai-je le droit de décider seul pour les autres qu’humains et pour la planète ?
La nature est en abondance et à mon service pour répondre à mes besoins et mon confort
Ce que je rejette dans la nature, elle le recycle naturellement … et si tel n’est pas le cas, après moi le déluge car la vie est faite pour être vécue sans se prendre la tête
J’ai une grande responsabilité car j’ai un pouvoir potentiel de nuisance énorme du fait de l’intelligence humaine dont je ne représente qu’une très petite part. D’ailleurs, en y réfléchissant, je m’aperçois que sans l’accumulation de l’intelligence de plusieurs générations de quelques scientifiques, ingénieurs et techniciens presque aucun de mes gestes quotidiens ne serait possible (électricité, transport, communications numériques, …)
La terre est la forêt qui m’abrite et qui ne m’appartient pas. J’en suis une partie : un arbre. Je suis la nature.
Je préserve la biodiversité et je prélève dans la nature le strict minimum dont j’ai vraiment besoin en prenant en compte les capacités de ressourcement. Une simplicité qui me donne la joie de vivre en harmonie avec les autres humains et autres qu’humains



Il y a une alternative au mâle dominant, qui peut être plus ou moins dominant, dominant variablement selon la sphère de vie ou la situation de vie. Cette alternative est l'homme masculin juste. Je reprends la formulation d'Ivan Jablonka et de son livre récent Des hommes justes que je vous conseille vivement.

Selon le type de posture de l'homme masculin, son comportement peut être schématiquement classifié en trois catégories en matière de bienveillance :

  • la bienveillance : l'homme masculin juste est attentif et prend soin des autres êtres humains et des êtres autres qu'humains. Il refuse les privilèges que culturellement il pourrait s'octroyer, notamment par rapport à la femme. Il chemine à la réduction de ses privilèges et coopère avec les femmes pour aller vers l'équité, la parité, l'égalité en respectant la singularité de chaque individu. Il résiste à la tentation de la facilité de l'immobilisme.
  • l'absence de bienveillance (allant de pair avec l'absence de malveillance) : l'homme masculin profite des privilèges de son genre et ne fait pas attention notamment au déséquilibre de la répartition des tâches dans la cellule familiale ; il peut vaguement participer, et chaque fois il fait remarquer ostensiblement qu'il "aide" sa femme et doit en être remercié particulièrement ; il ne prend pas la mesure non plus que beaucoup de femmes sont dans des situations de précarité, cantonnées dans des métiers au salaires et aux conditions de travail bas de gamme. Même si sur le principe, il peut être d'accord pour la parité et l'égalité, il n'apporte pas sa contribution à faire bouger le système et surtout pas si ça peut lui faire perdre ses propres privilèges. Il n'est pas malveillant avec les femmes et en cela il trouve qu'il est un homme "bien". Il y a une absence de bienveillance plus coupable et répréhensible : ne pas intervenir ou ne pas signaler quand il est témoin de violence commise par des mâles dominants (non assistance à personne en danger). 
  • la malveillance : le côté mâle dominant de l'homme masculin le conduit à être violent dans ses paroles et dans ses actes vis-à-vis des femmes, des enfants, des hommes masculins qu'il juge "sous-homme" ou pas assez homme. Les chiffres sont effrayants et insupportables : 35% des femmes dans le monde ont subi des violences physiques et/ou sexuelles à un moment de leur vie. Chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violence de leur conjoint ou ex-conjoint en France. L'actualité du jour concerne les féminicides avec un rapport de mission sur les homicides conjugaux faisant 24 recommandations. Un enfant meurt de maltraitance en France tous les 5 jours. Il y a aussi des violences moins spectaculaires : les propos sexistes, les blagues salasses, les comportements inciviques, le management par la pression, le mépris, les insultes, ...
Ce qui m'amène à dresser un tableau qui pourra sembler caricatural mais qui a le mérite je l'espère de proposer une alternative au mâle dominant en m'appuyant sur l'idée originelle de ce blog, à savoir le bonheur à travers des verbes. Ci-dessous un tableau construit autour de verbes cardinaux. 


Moi, mâle dominant
Moi, homme masculin juste
Moi, mâle dominant, je suis au-dessus des autres (femmes, enfants, femmelettes, pédés, pauvres, étrangers, animaux, …). “Etre ou ne pas être” n’est pas ma question. “Etre encore plus” est mon affirmation
Les statuts les plus prestigieux me sont réservés
Moi, homme masculin juste, je suis un être vivant, un être humain de sexe masculin. La seule chose qui me sépare d’une femme est d’ordre anatomique. Ce n’est pas rien, mais ça ne justifie en aucune façon que je sois supérieur ou au-dessus d’elle.
Ce qui me différencie des êtres autres qu’humains est le fruit de l’évolution et nous fait appartenir à la même famille
Moi, mâle dominant, je m’octroie le droit d’avoir plus que les autres
Moi, homme masculin juste, je veux tendre à une répartition plus juste des richesses et surtout que chacun puisse être en situation d’accéder au bonheur parce que ses besoins vitaux auront été assurés. Le verbe “être” est plus central pour moi que le verbe “avoir”
Moi, mâle dominant, je m’octroie le droit de dire et m’exprimer de telle façon que mes attentes et mes insatisfaction soient entendues et qu’elles trouvent une réponse qui me satisfassent
Moi, homme masculin juste, je m’octroie le droit de m’exprimer dans la bienveillance et tout autant le devoir d’écouter. Il est important que j’exprime dans une affirmation de moi bienveillante mes attentes, mes insatisfactions et tout autant mes satisfactions et ma gratitude.
Moi, mâle dominant, je m’octroie le droit de pouvoir faire ce que je veux, quand je veux, sans entrave, selon le principe “la fin justifie les moyens”, y compris par la force pour éliminer les entraves. La technologie fruit de l’intelligence humain en général est à mon service pour faire encore plus et plus vite
Moi, homme masculin juste, je m’octroie le droit à la liberté de faire selon le principe fondamental “la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres”. Je recherche le gagnant-gagnant et je réfléchis aux impacts de mes actes.
Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. La technologie doit être au service de l’ensemble de la planète et des futurs générations.
Moi, mâle dominant, je m’octroie le droit de penser que je suis tout-puissant et que tout m’est dû à l’instant
Moi, homme masculin juste, je m’octroie la liberté de penser et je suis conscient que mes paroles et mes actes sont reliés directement à mes pensées. Je suis vigilant aussi à mes pensées négatives qui peuvent me conduire à mal me comporter.
Penser avant et après l’agir me permet d’être bienveillant et de grandir.

Le cheminement vers l'homme juste n'est pas facile. Il est exigeant. Il nécessite de s'interroger sur les situations de vie du quotidien, notamment au sein de la cellule familiale et du couple. Il s'appuie sur la juste conscience, la confiance, la bienveillance, la reconnaissance et la coopération entre l'homme et la femme, le tout dans l'humilité (on avance pas par pas) et avec détermination et enthousiasme.

Ma conviction est qu'il faut amorcer ce cheminement au sein du couple et de la cellule familiale en interrogeant la répartition des décisions et des tâches et en remettant en cause tout ce qui est implicite et tout ce qui se justifierait par des arguments du type "c'est normal qu'une femme s'occupe de".

Il faut espérer que le Grenelle des violences conjugales permettra de s'attaquer collectivement de manière extrêmement déterminée à ce fléau insupportable et trop longtemps sous investi par notre société au même titre que pour la violence faite aux enfants. Concernant les enfants, le rapport annuel des droits de l'enfant 2019 fait 22 recommandations qui doivent ébranler le côté mâle dominant :


  • "... rappeler aux professionnels placés sous leur autorité que l’usage de la force ne peut être qu’une mesure de dernier recours" (recommandation 4)
  • La lutte contre le harcèlement scolaire (et notamment le cyberharcèlement) qui est souvent du fait de mâles dominants en culottes courtes (recommandation 5)
  • Donner les moyens à la plateforme 119 les moyens nécessaires pour qu'elle puisse répondre à l'intégralité des appels ; selon la directrice de la plateforme Madame Blain, actuellement, 90% des appels sont pris mais quand l'appel est pris, dans 60% des cas, il est demandé à l'appelant de rappeler car aucun écoutant n'est disponible. Une culture du juste signalement est à développer ; un signalement qui doit être écouté et pris en compte pour que cette culture soit efficace. Le mâle dominant violent se nourrissant de l'impunité, il faut transformer notre société pour qu'il sache que ses comportements seront systématiquement repérés et punis. (recommandation 9)
  • "Chaque enfant doit pouvoir s’exprimer sur toute question intéressant son environnement quotidien, participer à son évaluation et réfléchir à son amélioration" (recommandation 13)
  • Action de lutte contre les stéréotypes (recommandation 16)
Par ailleurs, j'appelle de mes vœux que les prochaines élections municipales puissent mettre en centralité le sujet de la remise en cause du patriarcat face à l'urgence des enjeux écologiques, sociaux et démocratiques.

lundi 4 novembre 2019

Tout de trop


Sur le fronton du Temple de Delphes étaient gravés deux principes que je mentionne périodiquement dans mes articles et qui devraient guider l'humanité :

"Connais-toi toi-même" et "Rien de trop".

Dans cet article, je vais avancer que notre société fait exactement le contraire du deuxième principe : il y du trop en tout ou presque tout. Et comme illustré sur l'image, l'être humain se porte mal et fait du mal à la planète.
Dans un deuxième temps, j'en appellerai au premier principe pour nous aider à activer le deuxième.

Du trop en tout

Je présente par avance mes excuses à toutes celles et tous ceux qui se sentent démunis de tout ou de beaucoup et qui pourraient mal ressentir ce que je vais écrire. Je précise que les propos qui suivent concernant globalement la société de consommation dont on voit bien qu'elle est injuste et qu'elle laisse de côté beaucoup d'êtres humains et exploitent aussi le peu de moyens qu'ont les personnes les plus démunies.

Dans beaucoup d'articles et de modélisations que je réalise, j'ai l'impression de tirer un fil à partir d'une petite idée qui me vient, inspirée d'une lecture, d'un visionnage, d'une discussion. Il arrive aussi qu'elle débarque dans mon esprit sans forcément pouvoir l'attribuer.

La petite idée qui m'est venue en l'occurrence, inspirée de nombreuses lectures de livres et d'articles sur l'empreinte des activités humaines sur la nature, c'est que l'on consomme beaucoup trop. Je vous propose de suivre le fil comme moi je l'ai fait dans ma tête :

La société de consommation nous pousse à acheter trop de choses, tout le temps et de plus en plus, frénétiquement, avec une excitation façon feu de paille jusqu'à épuisement de toutes les parties prenantes humains et autres qu'humains..





Il y a une corrélation extrêmement forte entre le trop de choses achetées avec un trop de choses fabriquées, notamment du fait du faible taux de réutilisabilité : quand on veut acquérir une chose, on veut l'acheter neuve et si possible encore plus récente et moins chère que celle du voisin. On pourrait aussi en fonction du niveau d'utilisation, l'emprunter, la louer. Si on en a vraiment besoin très souvent, on pourrait l'acheter d'occasion voire même l'obtenir gratuitement.

Pour beaucoup de ces choses, leur fabrication nécessite trop de matières premières (minerais, combustible, eau, ...) ;  certaines sont rares (notamment pour la fabrication des dispositifs numériques) au vu des réserves et de leur niveau de ressourcement. Trop de choses fabriquées avec trop de matières premières conduisent à une SURexploitation des ressources (SUR étant synonyme de TROP).

La fabrication de ce trop de choses provoque une émission de trop de Gaz à Effets de Serre (GES) et trop de pollution. Trop par rapport à ce que la planète peut supporter. Ces trop de choses fabriqués ont nécessité la construction d'infrastructures ayant contribué à détruire trop d'écosystèmes.

Les organisations qui fabriquent recherchent à réduire les coûts de manière trop drastique - et cela est valable pour tous les maillons de la chaîne - faisant peser cette réduction de coûts sur les êtres humains (piètres conditions de travail et bas salaire). C'est là qu'il faut prendre conscience que le "trop" se conjugue de manière souvent avec un "pas assez", notamment au niveau social et en terme de qualité. L'augmentation de la quantité se fait quasiment toujours sur le dos de la qualité. La baisse de la qualité relève quelques fois d'un dommage collatéral. Mais nous voyons depuis quelques années se développer un phénomène déloyal, inacceptable et condamnable : l'obsolescence programmée : on veut nous faire acheter trop souvent le même type d'objet dont la durée de vie est volontairement, artificiellement réduite. Ce qui produit trop de déchets dont beaucoup sont en plastique, difficilement recyclables et donc avec un coût écologique de traitement trop élevé.

La réduction des coûts de production a fait externaliser la production dans les pays à bas coûts salariaux. De ce fait, les kms parcourus par les choses et par les composants participant à ces choses ont explosé. Les choses parcourent trop de kms, dont une partie à travers les océans avec des portes-conteneurs qui consomment trop d'un carburant de trop mauvaise qualité (pétrole lourd). . Il y a aussi le transport routier qui amène à avoir trop de camions sur les routes et autoroutes. Avec des impacts négatifs en matière de réchauffement climatique et de pollution de l'air pour ces deux modes de transport.

Des choses qui, par ailleurs, passent par trop d'intermédiaires. L'alternative étant bien évidemment le circuit court, l'allongement des cycles de vie (produits plus solides, de meilleure qualité, ayant plusieurs vies), avec des conditions de travail décentes pour chaque personne contribuant au cycle de vie.

Je reviens à l'achat : pour nous pousser à l'achat, nous sommes littéralement bombardés par trop d'informations (notamment sur les écrans) nous incitant à passer commande trop vite (achat impulsif) et à être livré trop rapidement (du jour au lendemain, voire dans l'heure qui suit). Mais quelques fois, c'est contre-productif : nous nous trouvons face à trop de choix pour un même produit et on peut s'en trouver paralysé. C'est l'idée que défend Barry Schwartz dans son livre "Le paradoxe du choix" (cf mon article Une fausse piste pour le bonheur : accumuler des ressources et des options).



Un terme fait référence à la quantité d'information invraisemblable à laquelle nous sommes confrontés en permanence : l'infobésité. Elle se traduit diversement avec le numérique : trop d'emails, trop de notificationstrop de SMS, trop de messages sur les réseaux sociaux, trop d'amis sur les réseaux sociaux qui en réalité n'en sont pas, trop de temps passé devant son smartphone, sa tablette, son ordinateur. Il y a aussi une amplification attendue dans les toutes prochaines années : trop d'objets connectés ; un "trop"qui va de pair avec moins d'humains connectés entre eux dans la vraie vie. Une autre explosion des usages : trop de vidéos en streaming qui fait suite et se conjugue avec un trop de photos qu'on prend pour un oui ou pour un non et qui se trouvent stockées sans qu'on l'ait demandé sur des serveurs et pour longtemps. Tous ces usages numériques qui ont une empreinte écologique trop importante et qui sont trop méconnus dans la population.

Toutes les pollutions visuelles et sonores et la sur-information ont été évoquées par Matthew Crawford dans son livre "Contact". Il introduit la problématique de l'écologie de l'attention et une idée fort pertinente : considérer l'attention comme un bien commun dont il faut que nous nous préoccupions collectivement et individuellement. J'en parle dans mon article Le temps sur la table : attention, résonance et bienveillance (1) sur laqvt.fr. En effet, l'enjeu est d'importance : nous sommes de moins en moins en capacité de nous concentrer et de plus en plus impatients. Autant de raisons qui accélèrent l'autodestruction de l'humanité.

Il n'y a pas que l'infobésité : il y a aussi l'obésité tout court. L'humanité en est arrivée à un point où la suralimentation touche plus d'êtres humains que la malnutrition. Nous mangeons trop, trop mal et trop vite. Il y a aussi trop de gaspillage alimentaire.

Et inversement, nous ne faisons pas assez d'activités physiques et nous ne dormons pas assez.

Je liste quelques autres "trop" sans aller plus loin : trop d'ondes, trop de lumière, trop de bruit, des exploitations agricoles trop grandes (et aussi des espaces trop petits pour les animaux), trop de choses à faire, trop de déforestation, des villes trop grandes, des consommations d'énergie trop élevées, trop d'injustices, trop de violences commises envers les femmes, les enfants, (notamment au sein de la cellule familiale), les hommes, les animaux, trop d'indifférence, trop d'individualisme, trop de compétition, trop de notations et de chiffres, trop de menaces à la liberté individuelle (caméras, objets connectés, compteurs communicants, ...), trop de place à l'argent et aux biens matériels, trop de dépressions, trop de burnout, ...

Et puis quelques autres "pas assez" en commençant par celui qui plante l'enjeu global de soin de nos écosystèmes humains et autres qu'humains : pas assez d'actions déterminées à la hauteur compte tenu de l'ensemble des informations à notre connaissance sur l'état de la planète et des perspectives court, moyen et long terme (cf notamment les rapports du GIEC). Et puis il n'y a pas assez de bienveillance, pas assez de confiance, pas assez de coopération, pas assez de proximité, pas assez de connexion avec la nature, pas assez de tempérance, pas assez de responsabilité, ... Dire qu'il n'y en a pas assez, signifie qu'il y en a tout de même car il ne faut pas dresser un tableau trop désespérant. Des femmes et des hommes, de tout age, agissent pour la planète, intégrant les êtres humains, nous montrent qu'on peut vivre plus simplement, plus léger et plus heureux.

Tirer le fil du "trop" risque de m'emmener à écrire un article trop long. Je vous propose de continuer à prendre conscience par vous-mêmes d'autres "trop" et de "pas assez".

Connais-toi toi-même !

Après cet état des lieux non exhaustif des "trop" dans lequel j'ai commencé de-ci, de-là, à évoquer des alternatives, j'en viens à proposer un levier important qui nous permettrait d'explorer et de pratiquer le "Rien de trop !" : il s'agit de "Connais-toi toi-même !".



Comme je l'ai évoqué dans l'article récent L'insoupçonnable et l'insoutenable, je propose d'aborder cette connaissance de soi-même - un vaste sujet - à travers deux questions à enchaîner avec une troisième question, notamment par rapport à nos envies de consommation :

  1. "En ai-je vraiment besoin ?"
  2. Si oui, "Suis-je obligé de l'acheter neuf ?"
  3. Si oui, "Puis-je me le permettre au regard des enjeux climatiques et sociaux ?"
Si on répond "oui" à la dernière question, on a tout intérêt à faire une pause avant d'acheter et se reposer la 1ère question après la pause.


La première question développe notre capacité au discernement entre les besoins vitaux et les besoins de confort dont Sébastien Bohler dit dans son livre Le bug humain qu'il s'effrite dangereusement. Peut-être qu'à la lecture de cette première question renouvelée autant de fois qu'on veut acheter (qu'on est invité à acheter) vous viendra à l'esprit la pensée "Oui, mais à ce moment-là on n'achète plus rien, on va vivre dans une cabane, une grotte, ...". Pourtant, je vous assure qu'elle est très efficace. Le site internet riendeneuf.org consacré au défi "Rien de neuf" lancé par Zero Waste France rapporte que les personnes qui ont suivi ce défi pendant un an répondent bien souvent "Non" à cet autoquestionnement de la première question.

La deuxième question relève à la fois de l'introspection ("ne serais-je pas en train de faire un caprice ou de me faire avoir par la société de consommation ?") et de la recherche d'alternatives à un achat de produit neuf.

La troisième question relève de la connaissance du monde. Pour répondre aux deuxième et troisième  questions, il faut à la fois s'informer (et pas seulement être informé) et être lucide et honnête vis-à-vis du monde et de soi-même.

L'intelligence humaine fait les progrès technologiques actuels et annoncés qui peuvent nous faire répondre de manière biaisée à la 3ème question. En effet, on nous présente des innovations technologiques qui plus ou moins objectivement ont des impacts de ralentissement, réduction de l'empreinte humaine. Je prends l'exemple de dispositifs à base de micro-algues expérimentés dans les villes pour absorber le CO2 dont on annonce qu'ils équivalent chacun à la capacité d'absorption de 50 arbres. On nous annonce par ailleurs que ce qu'on achète consomme moins : voitures, smartphones, ampoules, ... C'est beau l'esprit humain et ça peut en rassurer certains sur l'avenir de la planète. Seulement c'est sans compter l'effet rebond : ce genre d'information peut nous amener à consommer d'autant plus, et au bout du compte en consommant plus des choses qui ont des effets négatifs un peu moindre ou alors qui sont compensés par des dispositifs apparemment miraculeux sauveurs de la planète, la résultante est une augmentation globale de l'empreinte humaine. Nous éloignant d'autant plus des objectifs de réduction appelés à grands cris par les scientifiques (notamment le GIEC), par l'ONU, par un ensemble d'ONG et par une partie de la jeunesse dont Greta Thunberg est une vibrante représentante. Si on ne change pas nos habitudes de consommation, non seulement la réduction ne sera pas à la hauteur, mais il faudra peut-être s'attendre à des augmentations de l'empreinte humaine et de l'emballement climatique.

Je conseille à nouveau l'excellent MOOC "Zéro déchet" organisé par le Mouvement Colibris et par Zero Waste France qui pose particulièrement bien, non seulement la question du déchet, mais aussi quantité de sujets comme celui du contenant de ce qu'on achète, du contenu. Il a pour principe premier, en phase avec ce que je viens d'évoquer : "le meilleur déchet est celui qu'on ne produit pas" qui est à entendre dans le sens "la meilleure façon pour réduire les déchets, c'est de ne pas acheter ce dont on n'a pas vraiment besoin".

Dans ce MOOC est interpelé un point que je n'ai pas évoqué dans cet article mais qui aurait pu l'être : le trop d'emballage. Ce qui fait revoir aussi l'introspection en 3 questions qui doit être adapté pour prendre en compte les besoins vitaux que l'on peut réaliser de manière plus ou moins écologique, et donc notamment en prenant conscience des emballages alimentaires. D'une manière plus générale, il s'agit de réduire le plus possible les emballages à usage unique.

La pratique déterminée, humble et coopérative de "Connais-toi toi-même", "Rien de trop" et "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" est selon moi un enjeu pour prendre soin de la planète, de ses écosystèmes (l'être humain en faisant partie) et pour favoriser le bien-être et le bonheur. Une pratique qui doit diffuser dans nos actes quotidiens, notamment ceux liés à notre consommation.