jeudi 16 juillet 2020

L'(ab)surdité d'une croissance écologique



Dans son discours de politique générale du 15 juillet 2020 devant l'Assemblée Nationale, le nouveau Premier ministre Jean Castex a déclaré croire "en une croissance écologique et pas une décroissance verte".

Utiliser l'expression "croissance écologique" et continuer à se revendiquer du paradigme de la croissance relève selon moi à la fois de l'absurdité et de la surdité face aux enjeux d'emballement climatique, d'atteinte à la biodiversité et de raréfaction d'un certain nombre de ressources de la planète. Absurdité et surdité aussi face aux dégâts considérables de la société de consommation et de l'accélération des rythmes sur la santé psychique des êtres humains.

Il est aussi un mal qui pourrit (et je pèse mes mots) notre société et les relations entre producteurs et consommateurs : le travail mal fait et les actes déloyaux dictés par la pression par les objectifs et le diktat de l'urgence d'une part, et la culture des intérêts particuliers et du profit court terme maximal au détriment du développement durable et du collectif d'autre part. De tels comportements qui mettent sérieusement à mal la confiance entre consommateurs et producteurs ou prestataires de services.

Une croissance écologique nous fera passer par exemple du règne des mal façons dans la construction traditionnelle au règne des mal façons dans la rénovation. On peut déjà d'ailleurs s'appuyer sur le présent et le passé des dernières années : je pense que de nombreuses personnes qui ont voulu faire installer des équipements d'énergies renouvelables dans leur maison pourront témoigner de grandes désillusions et d'accrocs plus ou moins importants dans le contrat de confiance avec leur installateur. Accrocs d'autant plus insupportables qu'on pourrait penser - à tort - que le mot renouvelable s'appliquerait aussi aux relations entre client et fournisseur. Je ne dis pas que tous les professionnels sont à mettre dans le même panier, mais je constate autour de moi depuis plusieurs années de nombreux témoignages en ce sens et une forme d'incapacité à pouvoir trouver des interlocuteurs de confiance.

Au contraire, notre société, collectivement et individuellement se doit de se poser trois questions :

  1. En a-t-on vraiment besoin ?
  2. Peut-on se le permettre au regard notamment de l'urgence climatique ?
  3. Comment peut-on contribuer à un monde meilleur et plus vivable pour le vivant ?
Poser ces trois questions conduit naturellement à un changement de paradigme vers une décroissance de la production et de la consommation et une croissance de la biodiversité, de la qualité, de la confiance, du bien-être psychique, de la qualité de vie, du bonheur (je vous laisse choisir parmi les trois termes celui qui vous sera le moins urticant ou le plus entendable).

Poser ces trois questions introduit implicitement l'idée de bienveillance tous azimuts : vis-à-vis de nos congénères, des autres qu'humains, de nos écosystèmes, de celles et ceux qui travaillent pour nous permettre de disposer de toutes choses et services du lever au coucher, de notre naissance jusqu'à notre décès. Une bienveillance qui est reliée étroitement avec l'idée de gagnant-gagnant. Une bienveillance qui marche de paire avec la curiosité, la proximité, l'appréciation, la gratitude et ... la "sobriété heureuse" comme la nomme Pierre Rabhi.

Je conseille fortement la lecture du livre "Le bug humain" de Sébastien Bohler pour comprendre en quoi une partie de notre cerveau - le striatum - est particulièrement moteur dans l'ancrage du paradigme de la croissance. On comprend aussi pourquoi ce paradigme est si difficile à déboulonner malgré les tous les signaux convergents qui nous appellent à une décroissance qui devrait être de raison. J'ai consacré à ce livre l'article L'insoupçonnable et l'insoutenable en octobre 2019.

Selon moi, l'idée de "croissance écologique" est malheureusement le signe que nous n'avons toujours pas compris les leçons du passé et les enjeux auxquels le vivant est confronté. Une surdité, une absurdité face à ces enjeux.