lundi 2 novembre 2020

Donnons-nous du temps PAR la bienveillance - Chronique sur la Bienveillance - Episode 9

 


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Cet article contient une (des) ressource(s) mise(s) en commun par Olivier Hoeffel

Voici le 9ème épisode de mes chroniques sur la bienveillance inspirées de l'actualité dans le cadre de mon travail de modélisation d'une Société de la Bienveillance.

Il est inspiré d'une actualité récente et d'une ancienne actualité qui reste complètement d'actualité : ma lecture actuelle du livre "D'un monde à l'autre" de Nicolas Hulot et Frédéric Lenoir, croisée avec ma lecture d'un livre plus ancien "Résonance" du sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa (il a écrit auparavant le livre "Accélération").


Donnons-nous du temps POUR la bienveillance

Je partage depuis le début de mes travaux de modélisation sur la bienveillance en 2019 une conviction et un leitmotiv : "Donnons-nous du temps pour la bienveillance !". Une conviction qui s'appuie sur un constat et une idée directrice :

  1. une grande partie de l'absence de bienveillance que l'être humain manifeste envers la planète et envers ses habitants est liée à un manque de temps ("j'en suis conscient, mais je n'ai pas le temps !")
  2. pour prendre soin de la planète, des personnes que l'on aime, de la qualité de ce que l'on fait, pour prendre soin de nous-mêmes, de nos relations, ... nous devons nous donner du temps, un temps juste.
L'usage de la première personne du pluriel ("donnons-nous") plutôt que la deuxième personne du singulier ("donne-toi") pour être familier ou la 2ème personne du pluriel pour l'être moins ("donnez-vous") est volontaire. Elle exprime trois aspects complémentaires :
  1. chacun de nous peut se saisir de cet enjeu à sa propre échelle
  2. il s'agit d'être ni impératif ni culpabilisant
  3. si chacun de nous s'en saisit de son côté, ce sera largement insuffisant : il faut que collectivement nous nous donnions du temps, que nous le choisissions ensemble et que ce temps que nous voulons nous accorder nous le soit aussi par celles et ceux qui nous entourent, et par les collectifs et communautés auxquels nous appartenons et dont nous faisons plus au moins partie en fonction de notre sentiment d'appartenance. Il faut aussi que cela tienne d'une décision collective co construite.
Le verbe "donner" est capital : il s'agit d'un cadeau que l'on se fait, individuellement et collectivement. "Donnons-nous du temps" étant étroitement relié avec l'approche gagnant-gagnant, un autre principe premier de la société de la bienveillance telle que je l'ai modélisée. 

"Donner" est aussi un choix réfléchi pour remplacer deux formulations peu entraînantes que l'on entend très très souvent : "accepter de perdre du temps ... pour en gagner ensuite" et "prendre du temps". Deux formulations qui sentent fort le sacrifice. Il y a en quelque sorte un cheminement à parcourir décrit dans le schéma ci-dessous que j'ai réalisé il y a quelques années pour laqvt.fr dans le cadre de l'initiative "Le temps sur la table" :



Une question d'espace et de temps

Dans "D'un monde à l'autre", Frédéric Lenoir explique qu'avec la sédentarisation qui a débuté il y a environ 12 000 ans, la sacralisation s'est renversée entre deux conditionnements fondamentaux : l'espace et le temps. Avant la sédentarisation, l'espace, la nature, l'environnement étaient sacrés. Le temps étant considéré comme cyclique. Depuis et de plus en plus, - notamment avec l'apparition des religions monothéistes - l'espace est devenu un objet d'exploitation (maintenant y compris au niveau de l'espace et des astres au-dessus de nos têtes) et le temps est devenu sacrément sacré. Le temps devenant linéaire, défini par un début, une fin et surtout une fin dans le sens "objectif". 

Je considère que "temps" et "objectifs" sont devenus complètement imbriqués formant une double aliénation et un double sujet d'angoisse : "je n'ai pas le temps" et "je n'arrive pas à atteindre mes objectifs". Un couple d'autant plus infernal que le temps et les objectifs sont souvent unilatéralement imposés par des personnes ou autorités déconnectées des réalités du terrain. Ce qui provoque presque inévitablement des situations où dès le début de ce segment de temps (top départ - top fin) la personne embarquée dans cette course contre la montre sait que la chose n'est pas faisable sauf :
  • en dépassant les délais,
  • en faisant mal la chose ou/et en étant déloyal,
  • en mordant sur d'autres sphères de vie pour respecter les délais, avec tous les impacts négatifs possible en terme d'équilibre des sphères de vie et de fatigue
Ces trois stratégies pouvant en plus se conjuguer. Et croyez le spécialiste de la Qualité de Vie au Travail (QVT) et des risques psychosociaux (RPS) que je suis, on voit tous les effets délétères de cette hyperconnexion au temps, aux objectifs, à la croissance, à l'urgence, ... sur la santé humaine et et sur la santé de la planète.

Compte tenu de l'état alarmant de la planète et de l'état inquiétant de la santé physique, psychique et social des humains, il y a donc en quelque sorte un double enjeu, une double urgence :
  • prendre soin de nos écosystèmes : resacraliser l'espace
  • nous désaliéner du temps : désacraliser le temps court ... et avec ... les urgences, les objectifs (à la mode du toujours plus, toujours plus vite, toujours moins coûteux), le progrès (à la mode sans conscience, ruine de l'âme), la croissance (vue comme seul paradigme, le cas échéant repeint en vert), la possession (façon "touche pas au grisbi"), l'expression exacerbée de l'ego, l'excellence à toutes les sauces, la jeunesse éternelle (et l'idée de corps augmenté), la satisfaction de plaisirs vides de sens, ...

Donnons-nous du temps PAR la bienveillance

Pour nous donner du temps POUR la bienveillance, il ne suffit pas de le dire. 

En quelque sorte, nous pouvons prendre le chemin de nous affranchir de la pression du temps selon les deux idées suivantes :

1/ Donnons-nous du temps pour faire le bien (bienveillance) et le faire bien (qualité) ; avec une petite musique relaxante dans l'air : "Ca prendra le temps que ça prendra"
2/ Et s'il devait vraiment y avoir une importance à le faire pour un délai donné qui n'est pas à notre portée ou faire face à un danger présent ou qui s'approche auquel on sent impuissant à notre échelle (notamment l'emballement climatique, les impacts sanitaires et sociaux de la pandémie covid-19), coopérons avec d'autres individus, collectifs, communautés, écosystèmes, organismes vivants, ...

Pour se désaliéner du temps, il s'agit 
  • plutôt que de pratiquer un corps à corps difficile, voire présomptueux, avec ce temps oppressant pour tenter de (re)gagner des marges de manœuvre (pression qui nous est infligée ou que nous nous auto-infligeons y compris quand on arrive à la retraite), 
  • il est plus agile, astucieux, malin, plaisant de changer de perspective et de priorité : (re)créer du sens et de la proximité avec ce qui nous entoure. C'est ce qu'Hartmut Rosa appelle la "résonance". En effet, selon lui, la solution face à l'accélération du temps n'est pas la décélération mais la résonance avec ce qui peut faire sens et relation autour de nous, ce qui peut nous toucher et que nous pouvons toucher. C'est aussi ce à quoi nous invite Sébastien Bohler dans son dernier livre "Où est le sens".
Je veux ici éclairer un enjeu capital de cercle vertueux : plus nous créons de la proximité avec un individu, un être vivant, un écosystème ou nous-mêmes, plus nous nous (re)connectons à lui, plus nous allons lui consacrer du temps, plus le temps que nous allons lui consacrer nous semblera juste, plus nous en tirerons des gratifications, plus nous le gratifierons, plus nous aurons envie de prendre soi de lui et ... plus nous nous libérerons de l'omniprésence et de la pression du temps.

Ainsi mon leitmotiv "Donnons-nous du temps POUR la bienveillance" se double d'un "Donnons-nous du temps PAR la bienveillance"

La bienveillance nous donnera du temps pour donner encore plus de bienveillance, non pas dans une fuite en avant de la bienveillance qui finirait par nous remettre de la pression, mais selon une spirale ascendante inspirante qui se renforce, sans forcer, pour le bénéfice de nos écosystèmes.

Consacrons-nous, chacun, et collectivement, à protéger, préserver, cultiver, sacraliser, gratifier ce et ceux qui contribuent vraiment à notre vie, à nos besoins essentiels : respirer, nous nourrir sainement, nous hydrater, maintenir notre température, notre sommeil, notre hygiène corporelle, notre bien-être physique, psychique et social (et donc notre besoin de liens sociaux), la paix en nous et au sein des différents écosystèmes auxquels nous appartenons.

Le temps (re)deviendra un repère cyclique, un peu comme une respiration bien présente que l'on oublie mais que l'on peut aussi vivre en conscience de temps en temps et que l'on peut remercier plutôt que maudire. Un temps avec qui vivre en paix et en symbiose.







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