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Voici le 20ème épisode de mes chroniques sur la bienveillance inspirées de l'actualité dans le cadre de mon travail de modélisation d'une Société de la Bienveillance.
Nous pouvons toutes et tous constater des changements d'avis autour du Covid-19, et dans tous les "camps" : les experts (par exemple sur le port du masque), le gouvernement (par exemple centralisation/décentralisation), la population (par exemple sur la vaccination). Il me semble que nous pouvons aussi constater en nous-mêmes et chez les autres une tendance à ce que les changements d'avis sont urticants. Ca énerve, on y voit de la versatilité, de l'incompétence, de la manipulation, ...
Dans cette chronique, je tire trois fils :
- pourquoi les changements d'avis nous énervent-ils ?
- des raisons qui expliquent les changements d'avis ?
- les types de changements d'avis qui me semblent utiles et qui me font inviter à la bienveillance par rapport aux changements d'avis.
Tu m'énerves à changer tout le temps d'avis !
Le titre de cette section, en tant que pensée ou phrase exprimée à autrui, comporte en lui-même déjà le risque d'une généralisation : l'autre a changé d'avis, mais il est fort possible qu'en réalité, il·elle ne soit pas coutumier·ère du fait, et le "tout le temps" est exagéré. Mais cela montre en quoi l'être humain est souvent particulièrement dérangé par les changements d'avis d'autrui, bien moins évidemment que ses propres changement d'avis.
Nous pardonnons d'autant moins les changements d'avis d'une personne ou d'une autorité que celle-ci l'a affirmé avec force, comme une vérité incontestable et inébranlable. En quelque sorte plus l'avis a été affirmé avec force, plus il revient façon boomerang aussi fort à celui qui l'a émis. Et en cela, l'humilité dans l'expression d'un avis ou d'une décision est probablement une mesure préventive de bienveillance en cas de changement d'avis.
Nous sommes aussi particulièrement sensibles aux changements d'avis, quand la personne a semblé nous écouter, nous a affirmé qu'elle tiendrait compte de ce que nous lui avons dit, et finalement a pris une décision autre. Un énervement qui sonne comme une blessure de l'ego.
Il y a aussi notre pseudo côté cartésien qui peut nous jouer des tours. C'est le cas quand nous raisonnons de manière binaire : si une personne change d'avis, nous qualifions le nouvel avis comme contraire au premier : tu avais l'avis A ; tu as changer d'avis pour l'avis B, et B et forcément le contraire de A. Or, l'avis B peut très bien différer (s'éloigner plus ou moins) de A sans être son antithèse. On peut le voir comme les points cardinaux : c'est comme si j'avais décidé d'aller au Nord, et que le changement de direction serait forcément d'aller au Sud. Or en fait, changer de direction peut m'amener à prendre n'importe quelle direction, et peut-être même de prendre un chemin sinueux qui m'amènera au point de destination que j'avais prévu au départ. Je ne dis pas qu'aucun changement d'avis ne relèverait dans les faits d'une logique binaire. Mais, selon moi, on attribue beaucoup trop facilement le caractère binaire aux changements d'avis. En quoi est-ce dommageable ? Parce que cela nourrit une intolérance que l'on justifie par un argument d'incohérence : on reproche à autrui son manque de cohérence "tu nous as dit faire A, et en réalité maintenant, tu fais le contraire". Pire que le manque de cohérence, il peut être reproché un coup de canif dans la confiance "tu nous avais promis A et tu fais le contraire". C'est notamment le cas par rapport aux décisions politiques. On se sent alors floué, trahis. Et si ce n'était pas une promesse qui nous concernait directement ou à laquelle on avait voulu croire, on peut prendre un malin plaisir à souligner la trahison faite à autrui, permettant le cas échéant de conforter le sentiment défavorable que l'on avait déjà sur l'émetteur de la promesse. Je remarque en passant qu'on a une tendance assez facile à qualifier de promesses des propos qui n'ont pas été forcément tenus en tant que promesse explicite.
Maintenant, et bien évidemment, il y aussi des promesses, des décisions qui sont prises et qui sont suivis de changements relevant de la manipulation, d'insincérité, d'opportunisme égoïste, ...
C'est bien réflexivité et discernement qui permettent d'articuler judicieusement tolérance et indignation (sujet d'une précédente chronique) face aux changements d'avis (je renvoie aussi à la chronique précédente Acceptation ET Résistance). Et pour ce faire, il est important de considérer un certain nombre de bonnes raisons qui peuvent provoquer les changements d'avis.
Les changements d'avis, c'est la vie, c'est comme la vie !
J'ai commencé à dire qu'on était plus indulgent par rapport à ses propres changements d'avis que par rapport à ceux des autres. Il y a une asymétrie que l'on retrouve dans la parabole de la paille et de la poutre que l'on pourrait décliner pour les changements d'avis : "Pourquoi entends-tu le changement d'avis dans la bouche de ton frère, et n'entends-tu pas celui qui sort de ta bouche ?". Sur un autre registre, on peut souvent constater que l'on juge l'autre sur ses actions alors que l'on veut être considéré (et non être jugé) sur ses propres intentions.
On est donc plus indulgent pour soi-même. C'est la raison pour laquelle, la meilleure façon de considérer les bonnes raisons pour que les autres changent d'avis, c'est de le voir à la première personne du singulier "Quelles sont les bonnes raisons qui me font changer d'avis, moi ?"
Entre deux, mon cœur balance
On me pousse souvent à émettre un avis ou à prendre une décision dans un mode binaire : c'est OUI ou c'est NON. Et entre les deux, mon cœur balance. Et quelques fois, il balance tellement, que forcé à donner un avis ou à prendre une décision, je me positionne dans un sens, et peut-être que j'aurais pu tout autant m'exprimer dans l'autre sens. Peut-être que selon mon humeur, 5 minutes avant ou 5 minutes après, je l'aurais fait différemment. Alors, bien sûr, il est possible que si on me réinterroge je peux changer d'avis. Et d'ailleurs, je revendiquerai mon droit à changer d'avis, comme une preuve d'intelligence de ma part ("il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis").
Ambivalence et priorité
Nous vivons dans une monde qui allie très souvent complexité (beaucoup de dimensions qui s'entrecroisent) et incertitude. Un troisième élément ne nous facilite pas la tâche : l'immédiateté et l'urgence. On me pousser à donner mon avis tout de suite et à agir vite.En cette période de pandémie, on retrouve une ambivalence prégnante entre responsabilité et liberté. On en trouve une deuxième assez proche entre précautions et prise de risques. Sans compter santé humaine et santé économique. Comment faire pour ne pas opposer ces dimensions 2 à 2 ? Comment sortir du mode binaire ? Comment passer du OU au ET.
Dans le MOOC L'avenir de la décision : connaître et agir en complexité qui date de quelques années, Edgar Morin s'exprimait oralement ainsi :
"Il y a des cas où il faut se lancer dans l'aventure en sachant qu'il faut prendre peut-être à un moment prendre des précautions et d'autres cas, c'est la précaution, mais peut-être qu'il faut, un moment donné, se lancer dans le risque."
Ses propos prennent tout leur relief dans ce contexte de pandémie, et l'on voit qu'il est possible de prendre en considération deux logiques apparemment contradictoires, au moins avec deux grands types de stratégies : favoriser A en intégrant une part de B ou favoriser B en intégrant un part de A.
Mais que l'on soit dans un schéma A OU B, ou A ET un peu de B ou B ET un peu de A, la priorité du moment peut être ajustée et provoquer le sentiment d'un basculement radical d'avis.
C'est ce qui fait peut-être que moi qui dis depuis plusieurs semaines que je ne me ferai jamais vacciner contre la Covid-19 pour des raisons de précaution - parce que j'émettais des doutes sur les risques de la vaccination - j'annonce depuis deux jours à tout va que je vais me faire vacciner, en expliquant que les vaccins sont sûrs. Mais en réalité, c'est parce que je veux qu'on en finisse et que je veux pouvoir aller au resto et au spectacle (en précisant qu'il ne s'agit pas de mon avis personnel, mais de la continuation de mon exercice à la première personne du singulier).
Moi expert, ne me demandez pas mon avis pour demain
Je suis expert dans mon domaine et on me demande mon avis. Alors, demandez moi mon avis sur la situation de maintenant, des conseils par rapport à des problèmes que je connais bien. Par contre, si c'est pour prédire l'avenir, ne me demandez pas, parce que mes avis ne sont pas pertinents et que je changerais probablement d'avis.
C'est en effet ce qu'a étudié Philip E. Tetlock entre 1983 et 2003 dans le cadre d'un projet intitulé "Good Judgment Project". 28 000 prédictions d'experts de diverses domaines ont été confrontées à la réalité quelques temps après. Ces prédictions se sont révélées à peine meilleures que le hasard et pire que des simples algorithmes d'extrapolation. Les experts les plus médiatiques étant particulièrement mauvais.
Ma vision des choses qui évolue
Je me réfère maintenant à ma modélisation de "Des marches de la bienveillance" avec le schéma ci-dessous :
Les changements d'avis sont fréquents entre la deuxième marche et la troisième : j'exprime mon intention de faire quelque chose ... et l'action n'est pas alignée avec l'intention, et pour plusieurs types de raison :
- j'annonce mon intention de faire quelque chose ... et finalement je ne le fais pas. Peut-être me suis-je avancé un peu vite, ou alors les conditions ne sont pas/plus réunies, ou bien la confiance en moi me joue des tours, ...
- j'annonce mon intention de faire quelque chose ... et finalement je fais différemment de ce que j'ai annoncé, ou moins ambitieux, ... Je renvoie aux causes possibles évoquées pour le point précédent
Notre vision du monde évolue ou peut évoluer à tout moment. Et en même temps le monde bouge. Si l'on croise ces deux dimensions, ressortent 2 dynamiques qui peuvent créer le changement d'avis :
- La situation n'a pas changé, mais c'est ma vision de la situation qui a changé
- La situation a changé, et ma vision s'adapte à ce changement
Je m'intéresse particulièrement au premier cas pour montrer que l'on peut changer d'avis, même si la situation n'a pas changé ou semble ne pas avoir changé. Examinons particulièrement la première marche que j'ai décomposée en 3 sous-marches :
- Ma conscience de symptômes peut évoluer. S'il s'agit par exemple la planète, je peux par exemple prendre conscience que des choses se dérèglent sur mon territoire de vie et pas seulement à l'autre bout de la planète. S'il s'agit de la pandémie, je me sentais peu touché par le sujet, et je me sens dans un état grippal depuis quelques heures ou c'est le cas dans mon entourage. Ce changement de conscience des symptômes peut me conduire à m'exprimer différemment sur la situation ou à agir différemment. A partir de cette conscience sur les symptômes, va peut-être s'enchaîner une réflexion de ma part sur les problèmes que ça pose et les solutions à explorer.
- Les symptômes n'ont pas forcément évolué, mais par contre je prends conscience que ce que je voyais un peu de manière indifférente se révèle problématique dans mon esprit. Peut-être parce que j'en ai discuté avec quelqu'un d'autre pour qui ça posait problème, et cette discussion m'a fait réfléchir. Là aussi, cela peut m'amener à m'exprimer et à agir différemment
- Ma vision de la situation en tant que constat des symptômes et problèmes n'a pas forcément bougé, mais je prends conscience qu'il y a des solutions, ou d'autres solutions dont je n'avais pas connaissance. Peut-être sont-elles nouvelles, ou peut-être que je viens d'en découvrir bien qu'elles puissent exister depuis un moment. Cela peut me faire infléchir à la fois mon avis que j'exprime et mes actions. Il est possible aussi que j'ai activé une solution et que cette solution ne donne pas les résultats espérés. J'envisage des alternatives que j'avais écartées auparavant mais qui finalement pourraient s'avérer plus efficace que celle que j'avais choisies.
Ma vision sur moi-même évolue
La vision sur mon corps, mes capacités physiques, mes capacités intellectuelles, mes compétences, mes relations au monde et à autrui ... change. Ce qui m'amener à avoir des avis et à prendre des décisions plus justes, plus écologiques dans le sens où elles prennent mieux en compte ce que je suis et l'environnement dans lequel je vis.
Il y a aussi ma relation avec mes aspirations les plus profondes. Une évolution qui peut dépasser largement le changement d'avis exprimés : il peut conduire à un changement plus que d'avis : un changement de vie qui pourra ne pas être compris par celles et ceux qui sont intolérants aux changement d'avis, autant que moi je pourrai peut-être ne pas comprendre les changements de vie d'autrui.
Je finis ici mon emploi de la première personne du singulier et soyons honnête : nous avons donc d'excellentes raisons de changer d'avis, autant que les autres ont d'excellentes raisons de changer leur propre avis et décisions.
Bienveillance vis-à-vis des changements d'avis
Je faisais référence à "Il n'y a que les idiots qui changent d'avis". C'est une banalité. Sauf que c'est une banalité que l'on applique plus pour soi-même que pour les autres.
Quand je vois les réactions politiques, les experts et chroniqueurs qui s'expriment sur les plateaux télé ou dans les média en général et la façon dont s'exprime la population dans la vie de tous les jours, sur les réseaux sociaux, je me dis de manière récurrente que nous devons faire acte de bienveillance en acceptant plus facilement les changements d'avis. Il ne s'agit pas d'appeler à la complaisance, mais au discernement qui nous permettra de mieux articuler entre tolérance et indignation.
Une bienveillance qui recherche un juste milieu entre l'intolérance aux changements d'avis et un phénomène de girouette permanente. Deux extrêmes qui peuvent conduire à la même conséquence : la défiance.
Une bienveillance qui invite à explorer le temps long et à se donner du temps pour prendre les décisions. Une bienveillance qui invite aussi à la co-décision. On accueille en effet bien mieux les changements quand on est vraiment partie prenante.
Résumé de cette chronique :
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