Vous voulez suivre l'actualité de ce blog ? Abonnez-vous !
Voici le 25ème épisode de mes chroniques sur la bienveillance inspirées de l'actualité dans le cadre de mon travail de modélisation d'une Société de la Bienveillance.
C'est une conjugaison de plaisir et de sens qui me fait relayer dans cette chronique une interview vidéo du physicien et philosophe Etienne Klein accordée récemment au média Brut. Un grand merci à lui et à Brut pour cette vidéo.
Vous noterez au passage que la nuance est aussi question de ton de la voix.
Je rebondis sur quelques idées évoquées dans cette vidéo. Je les mets en lien avec des enjeux d'une Société et de Territoires de la Bienveillance.
Nuance rime avec bienveillance
La bienveillance envers autrui revêt une multitude de formes, et notamment l'humilité et l'acceptation et la valorisation de la différence. Ce sont deux aspects évoqués dans ma vision de la Bienveillance (avant-dernier paragraphe) :
- l'humilité qui nous fait voir la réalité avec une lucidité vigilante par rapport aux risques de biais cognitifs (notamment la vision en noir et blanc et la généralisation) dans notre façon de penser. Une humilité pour raisonner tant que faire ce peut dans une logique de parité, en essayant de gommer des hiérarchies (mon opinion qui serait plus valable que celles et ceux qui seraient étiquetés comme moins intelligents, moins experts, ... par exemple). La lucidité qui permet de bien faire la part des choses entre un fait et une interprétation, entre la réalité et une partie de la réalité, en intégrant complexité et incertitude ;
- l'acceptation de la différence, et plus encore une valorisation de cette différence qui change tout : ce qui est vu comme une tension quand on la considère comme opposition, devient une source d'enrichissement, de gratitude, de joie de vivre et nous appelle à une plus grande bienveillance (attention et soin, deux volets de la bienveillance).
Nuance et bienveillance riment avec exigence
Parmi les 20 mots clés présentant une Société et des Territoires de la Bienveillance, figure "Exigence". La bienveillance est effectivement exigeante dans la mesure où elle nécessite de l'attention et du temps pour prendre soin sur 4 dimensions de bienveillance.
Une exigence qui invite à investir nos façons d'observer, de penser, de ressentir, de prendre des décisions, de s'exprimer, d'agir et de faire face aux tensions et aux problèmes, suivant le processus :
Sur le sujet de la nuance qui engage les premières parties du processus, on voit en quoi les croyances, les schémas de pensées, les habitudes attentionnelles (ce sur quoi notre attention a l'habitude de s'arrêter) vont avoir une influence sur notre façon de nous exprimer.
Comme le souligne Etienne Klein, l'expression radicale, les slogans, l'expression presse-bouton, ... relèvent de ce que j'appellerais d'une forme de paresse intellectuelle, renforcée par le sentiment d'accélération des rythmes qui fait vouloir réduire au minimum l'énergie et le temps déployé pour affirmer son opinion. Etienne Klein avance aussi sur une autre dimension de facilité : la haine est plus facile que la réflexion.
Donc tomber dans la facilité d'expressions à la va-vite, fait prendre le risque de mettre de la tension dans les relations humaines, jusqu'à en faire des interactions dépourvues de toute humanité, notamment sur les réseaux sociaux, ce qui me donne une transition pour mon troisième point.
Effets délétères de la désinhibition numérique
Etienne Klein n'a pas utilisé le terme de désinhibition numérique, mais c'est en partie cela qu'il évoque quand il dit que face à un écran l'être humain a tendance à se radicaliser et qu'un retour à une rencontre physique change la donne et remet de la nuance. J'ai découvert ce terme dans le livre Apocalypse cognitive de Gérald Bronner dont je conseille vivement la lecture.
La désinhibition étant d'autant plus forte quand la personne se cache derrière l'anonymat ou une fausse identité.
Je soulève une question sans avoir de réponse ("je ne sais pas") : la non nuance pratiquée régulièrement sur les réseaux sociaux n'aurait-elle pas un effet de contagion sur les interactions physiques ?
Pour le moins, beaucoup de tensions et d'agressivité sur les réseaux sociaux sont non seulement inutiles mais contre-productives en terme d'intelligence collective.
Il n'y a pas que sur les réseaux sociaux, et celles et ceux qui comme moi ont connu les débuts des messageries électroniques, auront probablement pu constater comment une détérioration du climat et des relations interpersonnelles dans les organisations a eu lieu du fait de ce nouveau mode d'expression. Si le déploiement des messageries électroniques a quelques fois fait l'objet de formations au niveau technique, cela a été beaucoup moins sur le plan méthodologique et psychologique, jusqu'à ce beaucoup d'organisations soient conduites à élaborer des chartes de bon usage des messageries électroniques.
On peut regretter que les enseignements sur le mauvais usage des emails n'aient pas été inspirants pour l'éducation, l'apprentissage et la régulation sur les réseaux sociaux. Un enjeu pour tous les âges.
3 ressources sur le sujet de la désinhibition numérique : article en anglais de l'auteur du concept, John Suler, Effet de désinhibition de la communication en ligne et L'ensauvagement du web : comment le numérique fragilise notre pacte social.
Question de points de vue
J'ai consacré récemment l'article Point sur les I sur les points de vue sur la tendance à rendre artificiellement les points de vue antagonistes, avec de forts risques de surenchères et d'un manque total de nuance. Je ne vais pas plus loin ici, je vous renvoie vers l'article en question.
Problématiques du "trop"
Etienne Klein énonce comme cause du manque de nuance l'infobésité, la surabondance d'informations. Une abondance d'informations qui met à mal notre capacité à l'attention aux personnes, aux multiples facettes d'une vérité, au questionnement, ... Il s'agit du sujet de l'écologie de l'attention, l'attention étant un mécanisme central de la bienveillance.
Bombardés d'informations et d'enjeux de bienveillance, dont certains peuvent paraître à tort ou à raison paradoxaux (notamment pendant cette période de pandémie), des tensions se mettent en place sur un autre aspect : celui de la prise de décisions, tant au niveau individuel que collectif. Le psychologue américain Barry Schwartz s'intéresse à cette question depuis plusieurs années. Il a écrit le livre "Le paradoxe du choix" qui constate que la multiplication des options crée de la difficulté à choisir, de l'indétermination et du mal-être.
"Le mieux est l'ennemi du bien" (ou "Rien de trop") constitue un des 10 principes que j'ai proposés pour la co-construction d'une Société et de Territoires de la Bienveillance. Il est grand temps de donner plus de place au qualitatif au détriment du quantitatif. Pour en revenir à l'invitation d'Etienne Klein à la fin de son interview : préférons écrire quelques commentaires argumentés plutôt qu'une ribambelle de clics sur un bouton "J'aime".
Pour que nuance et bienveillance s'affirment ... de manière bienveillante
Je suis complètement Etienne Klein quand il appelle les porteuses et porteurs de nuance à s'exprimer pour ne pas laisser le champ libre à la surexposition des opinions faciles, d'autant plus quand elles sont radicales et agressives.
Il nous faut occuper la place dans une affirmation de soi humble, bienveillante et nuancée en nous focalisant sur les bons enjeux pour éviter de contribuer à l'infobésité. En nous soutenant mutuellement, non pas pour faire polarisation mais pour nous encourager mutuellement dans une pratique exigeante (comme évoqué en deuxième point) vis-à-vis desquelles les réactions agressives sont trop fréquentes. Nous encourager aussi à persévérer dans une posture qui est souvent dévalorisée et assimilée à d'autres postures (bisounours, manque de personnalité, versatile, peur du conflit, ...).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire