Vous voulez suivre l'actualité de ce blog ? Abonnez-vous !
Voici le 22ème épisode de mes chroniques sur la bienveillance inspirées de l'actualité dans le cadre de mon travail de modélisation d'une Société de la Bienveillance.
Une fois n'est pas coutume, cette chronique ne fait pas référence à une actualité de médias, mais à une actualité de ma vie sociale qui fait récurrence en réalité.
Je suis très régulièrement frappé dans les discussions (duo ou groupe) de l'expression de points de vue qui se positionnent en opposition, par l'un et/ou par l'autre (par les uns ou/et les autres).
Souvent, ça démarre comme cela : une personne s'exprime, et la personne suivante prend le relais avec une formule du type "Je ne suis pas d'accord avec toi".
La première remarque est qu'il est mieux et plus juste de dire "Je ne suis pas d'accord avec ce que tu viens de dire" puisque dans le premier cas on exprime quelque chose d'inconditionnel alors que la contre-proposition est conditionnelle.
Une image inspirante
L'image illustrant ce billet montre 9 vues de la Statue de la Liberté : une du dessus, 8 en faisant le tour des points cardinaux.
Imaginons que l'on demande à 9 personnes réparties sur chacun de points de vue représentés dans cette illustration de dire aux autres ce qu'elle voit ou a vu. La première prend la parole et dit ce qu'elle voit, puis la seconde. etc.
Peut-être que chacune à partir de la deuxième se positionnera en partie par rapport à la personne ou une autre personne précédente : "je vois en plus de toi ...", "par contre, je ne vois pas ...", ...
Par contre, je n'imagine pas qu'une personne prenne la parole par un "Je ne suis pas d'accord avec toi".
Elle serait incongrue, puisque toutes sont conscientes de présenter leur point de vue d'une même réalité.
Chacun des points de vue rapporté peut être plus ou moins complet, fiable, ... mais dans un climat de confiance et de curiosité, chacune des personnes va porter intérêt et attention à ce que les autres personnes vont partager. Ce qui sera rapporté par chacune n'aura pas forcément la même valeur pour les autres. Probablement que la personne qui voit la Statue de la Liberté de derrière trouvera plus de choses intéressantes dans ce qui sera rapporté par les autres, que celle qui sera placée devant la face de la statue.
Une telle conception du point de vue, fait qu'une interaction autour de points de vue devient une source de partage, d'acquisition de connaissance, de curiosité, de rassemblement, de co-construction, ... Une interaction qui nourrit et qui fait coopération et appréciation. Une interaction du bien-vivre ensemble.
Seulement, et vous pourrez le constatez vous-mêmes autour de vous - probablement, tombez-vous aussi dans ce piège comme cela m'arrive à moi - nous baignons dans une société où les points de vue sont affirmés avec force, en opposition avec d'autres points de vue, voire en dévalorisation et/ou délégitimation d'autres points de vue alors que c'est totalement inutile dans les cas où il s'agit d'évoquer chacun un fragment d'une même réalité.
Des points de vue faussement antagonistes
Intéressons-nous donc à ce fléau - et je pèse ce mot - pour le bien-vivre ensemble et pour le bien-être psychologique (soi et autrui) : opposer inutilement des points de vue, notamment sur les façons de faire transition, alors même qu'il s'agirait de cristalliser des énergies diverses dans des directions diverses qui se conjuguent et peuvent inter-coopérer.
Voyons quatre pièges classiques qui conduisent à des points de vue faussement antagonistes.
MON point de vue
Le premier tient peut-être dans le manque de reconnaissance donné dans notre société à l'individu, notamment dans la sphère professionnelle. Mon analyse est que plus la reconnaissance est déficitaire, plus certaines personnes vont se sentir obligées de sur-jouer, de gesticuler pour se faire entendre.
Depuis quelques années, les réseaux sociaux constituent un terrain de jeu pour donner - plutôt, essayer d'imposer - son point de vue. Une manifestation potentiellement assourdissante de l'ego.
Et pour être entendu, quoi de mieux que de se positionner de manière radicalement opposée sur le fond par rapport à d'autres points de vue. Une radicalité qui se joue généralement aussi dans la forme. Ce qui peut aboutir à une surenchère d'invectives, voire des actions de "cancel" (cancel culture).
MON point de vue de vérité, et ton point de vue dans le faux
Et dès lors qu'on se positionne par rapport à autrui, se crée souvent une dynamique d'antagonisme et de surenchère où celui qui s'exprime par rapport à l'autre se considère comme étant dans LA vérité alors que l'autre est étiqueté comme étant diversement dans le faux, le mensonge, la stupidité, la fausse bonne idée, le mal, le mauvais français, ...
Le grand méchant OU
Il y a un autre piège que je constate très fréquemment à la fois sur les points de vue et pour les prises de décisions : cela ne peut être que l'un ou l'autre, une logique exclusive voire d'exclusion. Alors, que bien souvent :
- pour les points de vue, il s'agit de plusieurs fragments d'une même réalité (comme je l'explique en début de chronique), ou de plusieurs perceptions qu'il est important de prendre en compte
- pour les prises de décisions, on peut s'engager sur plusieurs pistes d'actions en mode exploratoire. Ou alors s'il faut n'en choisir qu'une, on peut panacher plusieurs pistes pour en faire une.
Et donc gare au grand méchant OU qui hurle autour de nous un peu partout et préférons-lui l'inclusif ET.
"Observation", dites-vous ?
Commençons par un petit test : regarder la vidéo suivante et écrivez sur une feuille de papier ou sur un support électronique ce que vous observez.
Je vous invite à ne pas poursuivre la lecture de ce billet avant d'avoir vu la vidéo pour ne pas fausser le test.
Si vous avez noté des choses du type "le point rouge entre dans la carré", "le triangle rouge se déplace vers la bas", ... vous avez respecté la consigne : vous avez observé.
Si vous avez noté de choses du type "le méchant triangle rouge s'est attaqué au plus petit triangle", ... alors vous êtes passé en mode interprétation car notre cerveau a l'habitude de chercher un sens aux choses et à (se) raconter des histoires.
Alors question : quand vous exprimez un point de vue sur une réalité, est-ce une observation ou une interprétation ? Et bien souvent, le problème c'est qu'on pense rapporter une observation alors qu'en réalité c'est une interprétation. Et de la même façon, quand quelqu'un exprime un point de vue, on ne l'écoute pas pleinement, on le confronte à son propre système de valeurs et de croyances ; on se crée ainsi sa propre histoire de ce qui vient d'être dit - ce qui mobilise le cerveau au détriment de l'écoute - et on réagit de manière subjective en pensant le faire de manière très objective.
Exemple : la sobriété heureuse
Je m'inspire ici librement d'un point de vue que j'ai entendu exprimé récemment de manière antagoniste autour de la sobriété heureuse.
Imaginons une personne X bénévole dans une association humanitaire œuvrant pour des personnes défavorisées. Elle ne supporte pas d'entendre le proverbe "L'argent ne fait pas le bonheur". Elle est urticante : comment peut-on dire à une personne en grande pauvreté qu'un peu plus d'argent ne lui rendrait pas la vie plus douce ? Elle considère aussi que le mouvement Colibris fait fausse route avec son idée de "sobriété heureuse" qui ne s'adresse qu'à des bobos.
Maintenant, complétons ce proverbe "L'argent ne fait pas le bonheur ... autant qu'on en ait suffisamment pour vivre décemment". C'est d'ailleurs non seulement le fruit d'une forme de bon sens, mais aussi l'enseignement de nombreuses études qui ont été réalisées sur le sujet.
Une telle formulation fait apparaître alors deux dynamiques qui se conjuguent, trouvent des points d'intersection et méritent de s'articuler et de se respecter et valoriser mutuellement :
- une dynamique autour de la réduction de la pauvreté, où il faut que les personnes les plus pauvres puissent se retrouver à vivre décemment
- une dynamique autour de la sobriété pour toutes les personnes qui surconsomment et/ou construisent leur vie autour de l'accumulation de biens et d'argent
Des dynamiques qui interpellent les responsabilités et des enjeux individuels, collectifs, politiques, sociétaux, culturels, éducatifs, psychologiques, de citoyenneté, de fraternité, de spiritualité, ...
Des enjeux de bienveillance envers les personnes, les communautés, les collectifs, la planète, les autres qu'humains. C'est ce qui transparaît, je l'espère, dans ma vision de la bienveillance.
Donc en effet, on peut viser une sobriété heureuse dans le sens le plus inclusif, intégrant notamment les questions de pauvreté.
Vertus de la prévention et d'une bienveillance multidimensionnelle
Une opposition inutile de points de vue conduit après pourrissement à trouver des solutions de gestion de conflits. On se trouve alors dans les mêmes situations que sur beaucoup de sujets où l'on essaye de réparer sans se donner vraiment les moyens de la prévention. On en vient même à valoriser l'existence de conflits sous prétexte qu'ils seraient nourriciers. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce n'est pas toujours le cas et que c'est accepter de se faire beaucoup de mal pour espérer peut-être au bout de compte se faire du bien.
En cela, la bienveillance, l'empathie, la communication non violente, la gentillesse, l'affirmation de soi bienveillante (assertivité) sont autant de moyens de prévention.
A l'instar de la dynamique du zéro déchet dont l'enjeu est résumé comme suit "le meilleur déchet est celui qu'on ne produit pas", considérons que la dynamique pour les points de vue peut se résumer comme "le meilleur conflit est celui qu'on ne produit pas par manque de bienveillance et d'écoute".
Plutôt que de s'écharper ou même de manifester des raisons d'être en opposition à ceux qui font autrement mais dans une vision globalement commune, les énergies qui vont dans le sens de transitions méritent de chercher des convergences et la bienveillance mutuelle.
Il y a quatre dimensions de bienveillance qui méritent d'être conjuguées :
- une dimension de singularité (Moi Je)
- une dimension d'appartenance à plus grand que soi (individuellement et collectivement) (Moi dans des Nous)
- où les autres parties prenantes sont considérées sous le sceau de la fraternité, de la parité, de la diversité et de la coopération (Toi et Moi)
- et où ce qui fait partie de nous doit faire l'objet d'attention et de soin (Vous en Moi).
Une carte mentale en pense-bête
Voici ci-dessous une carte mentale comme pense-bête résumé de cette chronique :
Note ajoutée le 23/03/2021 : Je signale que Jean-Michel Cornu, spécialiste de l'intelligence collective dans les grands groupes, a publié le 22/03/2021 une vidéo sur un sujet voisin.
Merci pour cette chronique très intéressante. L'exemple de la sobriété heureuse est particulièrement parlant. Et j'ai foncé à 100% sur l'interprétation pour la petite animation :)
RépondreSupprimerJe vous rejoins tout à fait, nous sommes habitués à l'opposition des points de vue (opposition saine, soi disant) et à l'interprétation des faits. D'ailleurs, on pourrait trouver un bon nombre d'exemples sur l'actualité récente et les nombreux débats enflammés qu'elle suscite.
Je vais tenter de garder votre petite carte mentale en tête, elle me parle et résume très bien votre propos.
Bonne journée !
Merci beaucoup pour votre réaction qui a d'autant plus de saveur qu'elle va au-delà d'un "j'aime", un pouce levé, un émoticône, ... Un aspect que je pointe dans mon pense-bête de 15 gestes de reconnaissance au quotidien avec le renvoi avec un astérisque : "La reconnaissance est amplifiée en expliquant pourquoi" http://www.lesverbesdubonheur.fr/2020/04/15-gestes-de-reconnaissance.html
SupprimerJe l'apprécie pleinement.
Olivier Hoeffel