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Voici le 34ème épisode de mes chroniques sur la bienveillance inspirées de l'actualité dans le cadre de mon travail de modélisation d'une Société de la Bienveillance.
Cette chronique m'a été inspirée par une interview au journal de 20H de France 2 dimanche dernier 19 septembre de Flore Vasseur et Marion Cotillard, respectivement réalisatrice/productrice et coproductrice du documentaire Bigger than us qui sort en salles ce mercredi 22 septembre 2021.
Un documentaire qui suit Melati jeune femme de 18 ans à la rencontre d'autres jeunes comme elle sur la planète qui ont pris l'initiative de créer leur propre projet pour répondre à un enjeu de société criant là où ils habitent. Justice environnementale, pouvoir de la jeunesse, droit des femmes, accueil et éducation des réfugiés, sécurité alimentaire, liberté d'expression sont les enjeux saisis par ces jeunes autour de la planète, acteurs et inspirateurs de bienveillance.
Partir du "Je"
Dans "Bigger than us", des jeunes, chacun dans son environnement, prennent l'initiative d'être et de faire le changement. Ils ne demandent pas la permission. Un élan, une audace les fait entrer en action à leur échelle.
Faire à son échelle est probablement une façon de se lancer qui est facilitante. Commencer petit, avec les moyens du bord, sans accumuler des préalables à l'action ("pour démarrer il me faut ..., avoir le soutien de ..., l'autorisation de ...").
Se lancer dans une action transcendante et altruiste nécessite un égo équilibré :
- pas assez d'égo : la confiance en soi ne sera pas suffisante ;
- trop d'égo : et le projet risque souffrir d'une motivation centrée sur la recherche de pouvoir, de reconnaissance, ... Si le projet devient collectif, il risque d'être centralisateur autour de la personne qui l'a lancé.
Inspiré par un "Nous"
Tout le monde ne se sent pas posséder - suffisamment - l'audace, les capacités la disponibilité, la forme, ... pour créer un projet soi-même. Il est alors possible de rejoindre un projet inspirant.
Pour ceux potentiellement en capacité de créer un projet, il peut être néanmoins pertinent de rejoindre une initiative collective plutôt que naviguer seul ou de vouloir créer un navire. C'est d'autant plus pertinent quand l'union fait la force. Quelques fois, il est inutile de s'épuiser à vouloir construire à partir de rien quelque chose qui existe déjà pas très loin et qui accueillerait avec enthousiasme l'énergie, les compétences et les valeurs humaines d'une personne de bonne volonté.
S'impliquer dans un "Nous" alors qu'on se sent capable de créer soi-même un projet fait appel à de la curiosité exploratrice (voir se ce qui se fait aux alentours) et à de l'humilité (comportant sa dose essentielle de lucidité).
Il me semble important de préciser que ce qui nous inspire dans le "Nous" est probablement plus souvent le projet lui-même (certains disent même "La cause") que le collectif et sa façon de fonctionner. Et c'est d'ailleurs ce qui peut poser problème ensuite : quand on rejoint un projet (une cause) inspirant et que l'on s'aperçoit que son mode de fonctionnement est antinomique. Typiquement en matière de bienveillance, quand le projet est centré sur la bienveillance à autrui ou à un écosystème, et qu'en interne, règne soit la malveillance, soit une absence de considération et d'attention aux membres.
Embarqué avec un "Tu"
Tout le monde n'a pas l'audace (ne pas oser par timidité) de frapper à la porte d'un "Nous" pour apporter sa contribution et essayer d'y trouver une place où bien se sentir.
Et ce n'est pas un problème car il y a plusieurs portes d'entrée pour l'engagement. L'audace n'étant pas une condition indispensable pour trouver sa propre place au sein d'un vaste mouvement de transition. Transition qui devient de plus en plus nécessaire qui s'imposera à nous d'une façon ou d'une autre.
Il y a donc une 3ème porte possible : suivre ou se faire embarquer par quelqu'un de notre connaissance, lui-même engagé dans un projet (individuel ou collectif) portant attention et soin à des individus, à la planète, à des espèces vivantes, à la paix, ...
L'intégration dans le projet pouvant être facilitée du fait du niveau de proximité avec la personne concernée. Pour autant, rejoindre le projet d'un proche ou un proche dans un projet collectif amène souvent à découvrir ce proche dans un autre contexte qu'habituellement, et éventuellement sous un autre éclairage qui peut ne pas plaire, voire déplaire.
Des complémentarités
Il y a donc plusieurs portes d'entrée dans l'engagement dans un projet transcendant. Elles sont donc complémentaires, et les projets ont besoin de chacune de ces portes d'entrée tout au long de leur vie :
- une ou quelques personnes qui créent ;
- des personnes qui rejoignent le projet, inspirées par le projet et/ou par l'équipe constituée ;
- des personnes qui s'embarquent ou sont embarquées par une personne de leur connaissance impliquée dans le projet.
Et puis il faut ajouter le soutien au projet que l'on peut apporter sans y être impliqué directement : en parler autour de soi, relayer sur les réseaux sociaux, soutenir par un don, ...
Il y a une autre forme de complémentarité qui mérite d'être jouée aussi entre projets, collectifs, communautés pour éviter des tensions inutiles et pour, au contraire, créer des synergies et de l'efficacité à des transformations. Je m'appuie sur l'excellent MOOC du mouvement des colibris sur la démocratie :
Il y est présenté l'idée de la complémentarité de 3 postures, 3 positionnements des projets, collectifs, communautés :
- "avec" : quand on essaye de faire le changement à l'intérieur d'un système dominant
- "contre" : quand on essaye de provoquer le changement en combattant le système dominant (ma préconisation allant bien évidemment vers une opposition non violente)
- "à côté" : quand on développe des alternatives au système dominant, indépendamment de lui
Le dit MOOC insiste sur l'avantage que chaque positionnement peut tirer de l'efficacité des autres positionnements. Par exemple : ceux qui font avec peuvent s'inspirer de ceux qui font à côté pour essayer de faire bouger les lignes.
Trois pieds d'un tabouret qui en font sa stabilité, plutôt que trois camps qui se font la guerre, ou au mieux se regardent en chiens de faïence et se délégitimisent mutuellement. Notons qu'un même projet ou un même individu peut alterner ces 3 postures en fonction du sujet et du contexte du moment. Par exemple, moi-même, dans mes articles, j'alterne des articles où je dénonce, d'autres ou je propose des alternatives (notamment par ma modélisation d'une société et des territoires de la bienveillance) ; par ailleurs, j'ai essayé de faire bouger des choses dans des organisations enfermées dans des cercles vicieux de l'absence de bienveillance.
Il y a un 3ème niveau de complémentarité qui demande selon moi une certaine vigilance : la complémentarité façon "La tête et les jambes" entre les personnes cérébrales (penser) et celles qui mettent les mains dans le cambouis (faire). Bien évidemment les projets, collectifs et communautés ont besoin de ces deux types de capacité. Mais il ne suffit pas qu'ils se respectent et se reconnaissent mutuellement, sans chercher à se comparer de manière incessante, sans que le collectif valorise plus explicitement et implicitement les uns ou les autres. Je suis convaincu qu'il faut essayer tant que faire se peut décloisonner : inviter ceux qui font à venir aussi participer au travail de ceux qui pensent, et inversement, ceux qui pensent à venir participer sur le terrain avec ceux qui font. Les avantages sont multiples, et notamment :
- une meilleure appréciation et reconnaissance mutuelle ;
- une réduction des risques de déconnexion entre la façon dont on conçoit et organise le projet et la réalité sur le terrain ;
- un développement des capacités de curiosité et d'apprentissage.
Coopération et "Je-Tu-Nous"
Je suis absolument convaincu qu'une saine coopération au sein d'un collectif ou d'une communauté se cultive autour de 3 dimensions :
- intrapersonnelle, le "Je" : chaque être impliqué dans un collectif est un être singulier avec son état de santé, ses aspirations, ses capacités, son vécu, ses valeurs, ses habitudes, sa gestion des émotions, sa disponibilité, ses préférences, ... Il y a une relation bidirectionnelle entre la personne impliquée et le collectif, chacune des parties étant en responsabilité d'affirmer ses besoins, ses tensions et de prendre soin à la fois de l'autre et de la relation elle-même.
- interpersonnelle, le "Tu" : au sein du collectif et dans le cadre des interactions avec d'autres personnes ne faisant pas partie du collectif, il y a le même type de relation bidirectionnelle, notamment avec les clients ou usagers, les fournisseurs et les partenaires.
- collective, le(s) "Nous" : "Nous" au pluriel, car souvent le collectif est composé de sous-collectifs et que par ailleurs, il fait partie d'écosystèmes plus vastes.
Autant de relations qui méritent d'être considérées avec le prisme de la bienveillance et de la réciprocité : je porte attention et soin à toi, à notre relation et j'attends que tu fasses de même, sachant que je suis aussi bienveillant avec moi-même et avec tout ce qui m'entoure. Des relations que l'on peut appréhender avec 4 dimensions de la bienveillance, élément de modélisation central de mes travaux sur la bienveillance.
J'ai particulièrement évoqué la question des responsabilités dans une relation dans l'article 6 responsabilités de bienveillance dans une relation.
Je suis tout autant convaincu que la construction d'une saine coopération s'articule autour du "Je-Tu-Nous", en 3 étapes :
- Je réalise un travail d'introspection pour être au clair avec moi-même sur mes aspirations, mes capacités, mes disponibilités, ... ;
- puis Je partage avec les autres membres qui ont l'intention de s'impliquer dans la coopération pour VOIR (voir et entendre ce qu'ils sont, ce qu'ils voudraient faire, comment le faire, apporter, vivre, ...) et ETRE VU (dire que ce je suis, ce que je voudrais faire, comment le faire, apporter, vivre, ...) ;
- puis Nous construisons ensemble une coopération qui cultivera les 3 dimensions du "Je-Tu-Nous".
Une telle construction de la coopération me semble une bonne façon de ne pas tomber dans le travers que l'on trouve dans beaucoup de collectifs visant le "Bigger than us" : le projet prend le pas sur les personnes qui le portent, avec très souvent un épuisement des personnes les plus impliquées. Les dites personnes qui laissent la place alors à d'autres personnes qui finiront elles aussi épuisées, ... constituant une boucle sans fin, un peu comme dans le mythe de Sisyphe. Une boucle sans fin que l'on banalise avec un sacré manque de lucidité : "C'est normal, ça fait partie de la règle du jeu, on s'engage, on se désengage, c'est ce qui fait la vitalité du système !???" (cf mon article Juste engagement dans l'ESS et dans les mouvements de transitionS)
Agissons, quelle que soit la porte d'entrée
Alors, oui, ces jeunes admirables et admirés que l'on voit dans les documentaires comme "Bigger than us", dans des reportages, dans la vraie vie, ...doivent nous inspirer pour nous impliquer nous aussi.
Pas forcément comme eux en créant notre propre initiative, mais aussi en rejoignant une initiative collective déjà existante qui nous inspire, ou aussi en nous laissant embarqué par une personne de notre connaissance dans son projet individuel ou collectif.
Extirpons-nous du sentiment d'impuissance solitaire face à une situation où le vivant est mis à genoux et où bon nombre de personnes sont à genoux devant les diktats de la consommation, de la croissance, de l'urgence, de l'estime de soi façon baudruche, de l'argent comme valeur suprême, du pouvoir, du plaisir, du court terme, ... autant de diktats que l'on peut résumer par les caractéristiques déviantes d'une partie de notre cerveau, le striatum :
Passons donc de l'impuissance solitaire à la puissance coopérative bienveillante !
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